Chapitre 16
Léo observe avec horreur le fond de teint disparaître et les taches sur la peau de Kai s’élargir, recouvrant chaque morceau de peau plus sombre d’un blanc livide. Ses cheveux noirs virent également graduellement vers une couleur argentée et, le plus impressionnant, ses yeux s’éclaircissent jusqu’à un bleu glaçant. C’est comme si de l’encre coulait dans ses iris. Léo grimace d’agacement, Kai a complètement disparu à présent et il va encore une fois devoir se coltiner cet énergumène.
“Tu fais chier, tu pouvais pas lui lâcher la grappe pour une journée, non ?”
“Moi aussi, je suis content de te voir ! Mais promis, je te le rendrai dans quelques heures, j’ai juste envie de m’amuser un peu !”
Léo lève les yeux au ciel, implorant mentalement que ces quelques heures passent rapidement. Kano n’est là que depuis quelques secondes, mais il ne peut déjà plus le supporter. Il espère seulement que Kai ne souffre pas dans cette autre dimension.
L'enfoiré le bouscule en sortant de la voiture pour s’étirer et le renverse presque dans la neige. Léo l’observe d’un regard noir en se redressant et fait claquer la portière en grognant de mécontentement. Il n’a vraiment pas envie de perdre son temps avec ce type. Kano se retourne vers lui avec un sourire immense. “Tu vas pas me faire la gueule à chaque fois, quand même !”
Tout en l’ignorant royalement, Léo fait le tour de sa caisse et récupère ses clefs qu’il range toujours dans le bas de sa portière. La suite de la journée s’annonce absolument fantastique… Kano le suit en sautillant de joie et pousse le vice jusqu’à se pendre à son bras. Léo retrousse la lèvre et d’un geste sec, se défait de cette affection non désirée. L’envie est grande, d’abandonner cette nuisance dans une benne à ordure et de ne jamais revoir sa tronche de cake. Dommage que ce parasite partage le même corps que Kai, sinon il ne se serait pas fait prier. Par contre, rien ne l’oblige à lui faire la conversation et d’être aimable. D’un pas pressé, il se met donc en quête d’un magasin dans lequel il pourrait trouver des vêtements et du fond de teint pour Kai. Autant ne pas perdre de temps plus que nécessaire. Il repère une vitrine avec des mannequins habillés et sourit à l’idée de choisir une tenue pour Kai. Peut-être qu’il peut même forcer Kano à enfiler quelques trucs pour voir ce que ça donne. Ouais, ce n'est pas une mauvaise idée, qu’il serve à quelque chose, le blanc-bec. Il s’engouffre dans le magasin sans prêter attention au pot de colle derrière lui qui se mange la porte royalement. Il ricane en l’entendant grogner un gémissement douloureux. Bien fait pour lui.
“Merci pour la porte… ” Marmonne Kano en se frottant le bras qui a heurté le battant.
“De rien.” Ironise Léo en regardant autour de lui pour évaluer les morceaux de tissus éparpillés dans les rayons. Du bas de gamme à outrance, génial. Il ressort sans même avoir touché un seul vêtement. Hors de question qu’il offre un truc aussi naze à Kai.
“Hey, attends-moi !” S’égosille Kano en le rejoignant à moitié essoufflé. Pour de faux, car il ne marche pas si vite que ça non plus. C’est juste que cet imbécile aime se mettre en scène partout où il va.
“Tu peux pas, genre, la boucler ?” Rétorque Léo en fourrant ses mains dans les poches. Il ne prend même pas le temps de le fusiller du regard et se met en quête d’un magasin un peu plus chic. Il se demande aussi où trouver le maquillage et comment savoir quoi prendre. Et s’il achetait aussi de la teinture pour ses cheveux ? Ce serait mieux d’aller chez un coiffeur, mais en attendant ça fera l’affaire. Ça doit surement le travailler aussi, ses mèches argentées.
“T’es toujours aussi taciturne ? Je vois pas ce que Kai peut te trouver, vraiment… Mis à part ton physique. Et encore, qui se teint les cheveux en bleu à cet âge, sérieux ?”
Léo se retourne brusquement et le toise d’un regard noir. Encore un peu et il lui aurait enfoncé le poing dans la figure. “Je t’ai dit de la fermer, t’as pas compris ?”
“Vas-y, oblige-moi.” Ose-t-il narguer avec son sourire étirer d’un coin à l’autre de son visage. Avant de commettre l’irréparable, Léo se détourne de lui et poursuit son chemin. Il s’arrête devant une boutique pas trop minable et décide d’y jeter son dévolu. C’est qu’ils sont dans un endroit pas très peuplé, il ne trouvera jamais quelque chose d’assez bien de toute façon. Mine de rien, les chemises qu’il y trouve sont plutôt sympas, alors il en plaque une contre le torse de Kano en le défiant du regard. “Tiens, enfile ça.” Ce dernier fixe le vêtement en fronçant les sourcils, mais se décide quand même à obtempérer. Léo hoche la tête contemplativement lorsqu’il le voit ressortir de la cabine d’essayage. C’est juste parfait. Il sort de manière experte un jean pâle, presque blanc et le balance à Kano, qui comprend le message implicite. Il s’enferme donc une nouvelle fois dans la cabine pour se changer. Entre-temps, Léo attrape quelques trucs pour lui ainsi que des sous-vêtements. Une fois qu’il a confirmé que le jean soit nickel, il passe en caisse avec un sourire satisfait.
Une chose de faite, maintenant, la suite. Il laisse les sacs entre les mains de Kano et sort de la boutique. La neige n’est pas près de s’arrêter, les flocons sont gros comme des dés à coudre et tombent à vive allure autour d’eux. Splendide… Lorsqu’il trouve enfin un magasin susceptible de vendre du maquillage, ses cheveux bleus sont recouverts de neige et trempés. Il balaie d’un coup de main le restant des flocons avant d’entrer. Kano s’ébroue comme un gosse à côté de lui et il souhaiterait ne pas le connaître tellement il en fait des caisses. C’est pas croyable, d’être aussi agaçant. Léo s’avance dans les rayons, mais il est complètement à la ramasse en matière de maquillage. Il n’a donc aucune idée de ce qu’il devrait acheter et ça le gonfle tout autant que cet autre couillon. Les étiquettes des produits ne lui disent rien du tout et il ne saurait dire à quoi sert un sérum skin prémium, ou encore un primer hydro grip… ? C’est quoi ces noms à la con ? Quel est l’imbécile qui a inventé des étiquettes pareilles aussi, il y a tant de truc écrit dessus, qu’il faut une loupe pour déchiffrer à quoi c’est censé servir. Il est dans la merde s’il doit lire chaque flacon. Bon, et s’il commençait par la teinture ? Ça, au moins, il connait plus ou moins.
Avant qu’il n’ait le temps de changer de rayon, Kano se penche sur l’étalage et en sort un tube de couleur beige, avec un sourire moqueur sur les lèvres. “Tiens, il me semble que Kai utilise cette marque-là.”
Léo reste figé sur place et fixe le flacon tendu dans sa direction avec stupéfaction. Il rêve, ou ce démon vient de lui donner un coup de main ? Avec méfiance, il vérifie ce qui est marqué sur l’étiquette et constate qu’il s’agit en effet de fond de teint… Décidément, il est sur le cul. Enfin façon de parler, bien sûr. Sur le coup, il ne sait même pas comment réagir tellement c’est inattendu. “Euh… Merci ?”
“Je t’en prie.” Chantonne Kano en partant se perdre dans d’autres rayons pour découvrir l’assortiment de savons et parfums en tout genre. Léo reste un instant à l’observer avant de se rappeler qu’il voulait également acheter une teinture noire. Il ne doit pas chercher longtemps et choisit la boîte la plus chère de tas. Cela ne fera probablement pas une grande différence, mais comme il n’a déjà pas trop confiance en la qualité du magasin, c’est quand même mieux, non ? Il rejoint ensuite Kano et le surprend en train de fouiller parmi une pile d’écharpes. Curieux, il attend qu’il ait fini par en sortir un foulard Keffieh blanc et noir pour se pencher par-dessus son épaule. “Tu le veux ?”
“Euh, non, enfin, oui ?” Son visage étonné arrache un sourire moqueur à Léo qui s’empare de l’écharpe. “Faut savoir ce que tu veux. C’est oui, ou non ?”
Kano lance un regard envieux sur le morceau de tissus à carreaux et Léo n’en a pas besoin de plus pour se diriger vers la caisse, l’écharpe toujours en main. Après tout, il lui a épargné la lecture assidue de chaque tube de maquillage présent dans le magasin, il peut bien lui offrir un truc. Ensuite, ça ira bien à Kai, ce genre d’écharpe.
Une fois tout payé, il lui balance l’écharpe, ainsi que le sachet contenant le reste. “Viens, on va boire un truc le temps que la tempête se calme un peu.”
Kano ne se fait pas prier et enfile l’écharpe autour de son cou tout en le suivant de près. On dirait un gamin qui vient de recevoir le plus beau cadeau de Noël… Ses yeux brillent de joie et il marche de façon exubérante, faisant une pirouette ici et là en s’accrochant aux lampadaires. Il n’a vraiment pas peur du ridicule, c’est clair. C’est alors que Léo est frappé par le contraste entre Kai et Kano. Ils sont comme deux pôles opposés. L’un semble mal à l’aise dans la foule et n’aime pas attirer l’attention, tandis que l’autre n’a honte de rien et s’exprime bruyamment sans la moindre gêne. C’est autant une différence qu’une ressemblance. La curiosité prend le dessus sur l’agacement et Léo compte bien en profiter pour en apprendre un peu plus sur eux. Comment est-ce que Kano en sait autant sur Kai ? Est-ce qu’il peut lire dans ses pensées quand ils échangent de position ? Les questions se bousculent et il s’en mord la langue. Il faut qu’il en sache davantage !
Un petit café sur leur droite lui paraît l’endroit idéal pour assouvir sa curiosité, ainsi que pour se réchauffer. Double combo ! Cette fois-ci, il fait preuve d’un minimum d’effort et garde la porte ouverte pour l’énigme sur pattes. Il trouve une table un peu en retrait et s’y installe en retirant vite fait son manteau couvert de neige. Kano se laisse tomber sur sa chaise en face de lui et s’empare aussitôt du menu, un éclat affamé pétillant dans ses yeux.
“Je peux prendre ce que je veux ?” Lâche-t-il en regardant par-dessus la carte, en quête d’une quelconque approbation.
Léo fait exprès d’hésiter avant de répondre. “Si tu réponds à mes questions.”
“Hmm” Fredonne Kano, songeur tout en lorgnant sur le contenu de la carte. “Mouais, tant que je peux y répondre.”
Quand il avait donné son accord, Léo ne s’était pas attendu à ce que Kano commande la moitié de la carte. Trois sortes de café différent, cinq viennoiseries et un toast jambon-fromage pour monsieur, s’il vous plaît… Léo se demande bien où il va tout caser, mais s’il obtient des réponses, il s’en bat un peu. La table est presque trop petite pour contenir tout ce qu’ils ont commandé et le serveur leur lance un regard lourd, indiquant qu’il risque de ne pas être trop content s’ils ne finissent pas tout. Au pire, il en mangera un peu aussi.
Léo s’accoude par-dessus son café en songeant par quelle question commencer.
“Pourquoi t’es là, Kano ?”
L’intéressé mord avidement dans le croissant avant de relever les yeux. “Je l’ai dit plus tôt, j’ai juste envie de me dégourdir un peu les jambes.” Dit-il, la bouche encore pleine. Pour les bonnes manières de tables, on repassera. Léo secoue la tête par dépit, autant pour sa réponse que les miettes qui restent collées sur ses lèvres. Ça fait bizarre de savoir qu’il s’agit du même corps que Kai et de pourtant le trouver aussi repoussant.
“Fait pas genre que tu ne me comprends pas. Pourquoi t’as commencé à apparaître ?” Relance Léo sur un ton plus sérieux.
Kano semble réfléchir un long moment avant de répondre. “En vrai ? J’en sais trop rien. Il y a des moments où j'aperçois le voile de votre réalité se fissurer, et j’en profite pour le franchir. C’est un peu comme une porte vers une autre dimension si tu veux. Une dimension dans laquelle il y a des gens avec qui discuter, des choses intéressantes à vivre. Donc, quand tu compares avec mon univers, y a pas photos, le choix est vite fait.”
Léo hoche la tête et bois une gorgée de caféine. “Admettons… Mais pourquoi sa maladie s'est déclenchée seulement après la mort de sa mère ?”
Kano s’assombrit dangereusement et pose son croissant à moitié entamé sur son assiette. “Notre mère.” Précise-t-il en le fixant avec défiance. Léo sent qu’il est sur terrain glissant, alors il ne cherche pas à envenimer les choses. Après tout, il veut juste des réponses.
“Si tu y tiens, votre mère.” Concède Léo en réprimant une grimace.
“Hmm, du stress, peut-être ?” Moque-t-il en faisant bien sentir qu’il ne désire pas élaborer cette piste. Dommage, songe Léo, mais il a d’autres questions sur lesquelles se rabattre.
“Parle-moi de ton univers, cette dimension obscure.”
“C’est pas une vraie question, hein… Mais si tu veux. C’est juste mon monde, je suis né dedans. Je me réserve le droit de ne pas t'expliquer comment il fonctionne, mais disons que je peux le manipuler à ma guise. Il n’est qu'obscure quand je le désire. Quoiqu’il m’a fallu pas mal de temps avant de le comprendre, ça… Ce qui m’intrigue, c'est qu’il y a des fois où j’arrive à alterner votre réalité.”
Léo doit admettre que cela l’intéresse beaucoup d’un coup. “Comment ça, alterner notre réalité ? Tu parles de sa peau et de tes apparitions dans les miroirs, ou d’autre chose encore ?”
Kano sourit en faisant tournoyer sa cuillère dans la seconde tasse de café. “Je n’ai pas encore eu l’occasion d’expérimenter jusqu’où je peux aller. Mais c’est pas une douche qui a noyé le portable de Kai, si tu veux tout savoir. Avant que tu ne me fusilles sur place, c’était pas mon intention au départ. C’est juste arrivé. Depuis ça me donne envie d’essayer d’autres petits trucs.” Il lève sa cuillère à la hauteur de ses yeux et se concentre intensément dessus. Sous le regard effaré de Léo, la cuillère se couvre d’une fine couche de givre couleur café. Satisfait de lui, Kano la replonge dans son liquide en lui offrant une expression énigmatique.
“Tu… manipule la matière ?” Souffle Léo, plus inquiet que fasciné par cette découverte déconcertante. Comme si ce n’était déjà pas suffisant qu’il possède le corps de Kai…
“Non, pas tout à fait. Mais assez de révélation pour aujourd’hui, je crois que je t’ai donné assez d’info pour ta monnaie.” Ricane-t-il en se remettant à manger comme un crève-la-dalle. Léo n’a pas besoin de l’aider, car ni une ni deux, chaque assiette est vidée soigneusement et les trois cafés disparaissent également à leur tour dans le gouffre en face de lui.
Le serveur revient et fixe les assiettes vides avec un brin de surprise. Ouais, lui aussi est choqué. Léo hausse les épaules et règle la note. La tempête s’est enfin calmée dehors et il aimerait rentrer à l’hôtel maintenant qu’il en a l’occasion. Kano le suit, les bras chargés avec les divers sacs. Il ne se plaint pas de faire office de baudet et s’attarde même devant certaines vitrines pour y admirer le contenu. Un vrai gosse…
“Au fait, c’est quoi ton truc avec le bleu ?!” S’étonne Kano en s’arrêtant devant la voiture de Léo avec un air narquois.
“Fait gaffe à ce que tu dis, je peux très bien décider de t’enfermer dans mon coffre le temps que Kai revienne à lui.” Sa voix est profonde et menaçante, avec une touche d’humour noir qui refroidi aussitôt le sourire amusé de Kano.
“Sans façon… Le coffre ne me tente pas tant que ça, oh noble conducteur.”
Le nouveau regard noir qu’il se ramasse efface le restant d’humour de son visage et il se laisse glisser sur le siège passager en se pinçant la lèvre. Léo lance le moteur et fait une marche arrière un peu brusque qui arrache un glapissement aigu de la part de Kano. Surpris, il s’arrête net et lui lance un regard perplexe.
La main plaquée contre sa bouche, Kano l’observe avec des yeux ronds.
“T’as pas eu peur, quand même ?” S’enquiert Léo, soudain suspicieux.
“Non, non !” Affirme Kano, la main toujours refermée sur sa bouche. Ce n’est pas compliqué de voir si son doute est avéré, alors Léo redonne un coup d’accélérateur violent et sourit avec malice en entendant un nouveau cri d’effroi sortir des lèvres de son passager.
“Vraiment ? T’es sûr ?” Pour une fois qu’il a le dessus, il va s’en faire un malin plaisir de le torturer un peu.
“Okay, okay ! Oui, j’ai peur ! T’es content ?” S’écrie-t-il en s’agrippant à la poignée de la portière comme si sa vie en dépendait.“Maintenant, si tu pouvais éviter de faire mumuse avec ton bolide, ça m’arrangerait !”
Content de sa petite connerie, Léo profite encore un peu de la situation qui est à son avantage. “Je me calme si tu me dis comment tu arrives à prendre la place de Kai.”
Le visage de Kano est tordu d’horreur au bout du cinquième virage en épingles et s’il n’était pas déjà si pâle, il le serait à présent tellement il est livide de trouille.
“Putain, mais je tiens pas à mourir dans ta caisse !”
“C’est simple, donne-moi la réponse et je roulerai comme un vieux papi rien que pour toi.” S’amuse Léo en poussant le jeu à son comble. Il y a de la neige partout et même si le sel a absorbé la majeure partie sur la route, cela reste une piste de danse quand on ne sait pas comment rouler dessus. Léo connaît ces routes comme sa poche, tout comme il connaît sa voiture sur le bout des doigts.
“Très bien ! J’ai compris ! C’est pas toujours voulu, d’accord ? Genre, y a des fois où une fissure s’ouvre sur votre monde et j’ai juste à la traverser. Par contre, parfois, elles font un peu office d’aspirateur et je me retrouve happé par la crevasse si je suis trop près d’elle. C’est bon ? Tu peux ralentir maintenant ?”
Non, pas tout à fait, il veut obtenir encore une réponse. “Je vois… Comment tu fais pour retourner dans ton univers ?”
“Aucune idée, la dernière fois, je me suis juste endormi et je me suis retrouvé à nouveau dans mon monde ! T’es au courant que la route est glissante ?!”
Léo donne un coup de frein brusque et le fixe d’un mauvais regard. “Comment ça, tu n’en sais rien ? Tu m’as dit que tu me rendrais Kai au bout de quelques heures, tu te foutais de ma gueule ?!”
Kano grimace un demi-sourire en haussant les épaules. “Oui, bon, j’ai été optimiste ? Avec un peu de chance, il revient à lui dans une heure ou deux, au pire, je te tiens compagnie ?”
Ça y est, il a de nouveau envie de le tuer. C’était pas long… D’un claquement de langue et d’une humeur massacrante, Léo se remet en route tout en passant ses nerfs avec une conduite toujours aussi rageuse et violente.
“J’ai vraiment pas envie d’y rester ! C’est pas mon jour !”
“Putain, mais t’es une vraie poule mouillée, ma parole !” S’agace Léo, ralentissant enfin. Comparé à Kai, c’est une véritable plaie ! “Ça y est, monsieur est content ?” Lance-t-il en lui assénant un regard assassin. Kano se redresse un peu sur son siège sans pour autant lâcher la poignée de porte. Il hoche néanmoins la tête. “C’est mieux… oui… ”
Le silence s’installe et le reste du trajet se déroule sans un autre mot. Aucun son, sauf celui du moteur rugissant dans les quelques lignes droites et sorties de virages. Léo se ronge les méninges au sujet de ces failles dans l’univers de Kano. Il suppose que Kai devra trouver son chemin et en traverser une pour revenir à lui… Ce qui peut être vachement aléatoire d’après ce qu’il en déduit. Il marque un temps de réflexion sur le fait qu’il est en train de déduire des choses qui dépassent l’entendement, lui qui a l’esprit si logique et terre à terre… Jamais il n’aurait cru au surnaturel s’il ne s’était pas retrouvé confronté avec. En garant la voiture, il peut entendre le soupir de soulagement qu’expire Kano. C’est quand même étrange qu’il ait eu si peur tout le long de trajet. Mais vu comme il semble être opposé à Kai, peut-être que pour eux, c’est à peu près normal. Enfin, qu’est-ce qui est normal ? Il n’en sait plus trop rien à vrai dire.
“Comment tu en sais autant sur Kai ?”
Kano le regarde avec une grimace amusée. Il a l’air d’avoir repris son aplomb maintenant qu’ils ne sont plus sur la route. “La réponse ne va pas te plaire à mon avis.”
Léo retrouve sa mauvaise humeur en un clin d’œil et le silence du trajet lui manque tout d’un coup…
“Parle et arrête de me casser les couilles !”
“Toujours aussi charmant… ” Siffle Kano en levant les mains sur la défensive. “Je t’aurais prévenu… Je peux voir certains fragments de sa vie. C’est comme si j’avais juste à allumer la télé pour tout voir en direct.”
Cette révélation à l’effet d’une bombe pour Léo. “Donc, tu peux voir tout ce qu’il fait, tout le temps… ?”
“Ouais, en quelque sorte. Quand l’envie me prend, en tout cas… ”
Dieu que ça le fait chier de ne pas avoir de vie privée… Si jamais Kai s’en rend compte, ça va le coincer terriblement. Merde, même lui, cela le perturbe d’avoir une paire d’yeux en train de les mater tout le temps.
“Comment je sais que t’es en train de nous observer ?” Demande-t-il en plissant les yeux.
“T’inquiète, voir deux mecs à poil, c’est pas mon délire.”
Il n’a pas vraiment répondu à sa question, mais Léo s’en contente pour le moment. De toute façon, il ne lui fait pas confiance pour un sous… Et puis, l’idée de voir Kai nu, le fait buguer un long moment. Il n’a pas encore songé à la suite du développement de leur relation. En fait, non, il y a pensé plein de fois. À tel point qu'il s’en donne même des maux de tête. Alors, il a fini par conclure, qu’il suivra bien leurs impulsions et envies quand elles surgissent…
Kano sort de la voiture et interrompt son fil de pensées en claquant la portière derrière lui. “Doucement avec la porte, putain !” Gronde Léo en sortant à son tour.
“Ça va, elle va pas en mourir… ”
“La prochaine fois, je t’enferme vraiment dans le coffre, ça me fera des vacances !”
Kano s’enfuit en ricanant, bondissant dans la neige abondante. C’est un vrai diable sorti d’une boîte à jouets. Exaspéré, Léo le suit en se disant qu’une cigarette lui ferait le plus grand bien pour digérer tout ce qu’il vient d’apprendre. Mais il n’en a pas sous la main et en acheter ne serait pas judicieux. Ce serait bête de retomber dans cette addiction à cause de cet imbécile. Kai lui manque terriblement et il donnerait n’importe quoi pour le récupérer. Il soupire longuement en passant les portes de leur hôtel. Du coin de l’œil, il remarque qu’un homme d’un certain âge à remplacer la pimbêche du matin. Au moins, ça lui épargnera des commentaires plus tard.
Kano se laisse tomber sur le lit dès qu’il met pied dans la chambre, bazardant les sacs sans la moindre délicatesse. “Tu fais chier… Tu peux pas faire un effort ?” Gronde Léo, tout en ramassant les vêtements sortis du sac pour les ranger soigneusement sur la commode. Kano l’ignore royalement et s’étire de tout son long avant de croiser ses bras derrière la tête en arborant un air nonchalant. “Haaaa, ce lit est vraiment trop confortable. J’aimerais en avoir un pareil dans ma dimension.” Muse-t-il en battant l’air de ses jambes énergiquement, rebondissant en position assise pour ensuite se laisser retomber sur le matelas. Léo le redresse de force en lui assenant un regard noir. “T’es insupportable, sérieux ! T’as le pull trempé, t’es en train de mouiller les draps !”
“Ça va, ça va, c’est bon, je le retire, t’es content ?” Râle Kano en passant le pull par-dessus sa tête. Le pull atterrit bien évidemment au pied du lit, là où il risque de bien sécher comme il faut… Si le but est d’agacer Léo un peu plus, la stratégie semble fonctionner à merveille. “À ton avis, j’ai l’air content ?” Fulmine Léo en se baissant une nouvelle fois pour ramasser le sweater trempé.
“Rhooo, c’est pas la mer à boire. Il est pas si mouillé que ça, de toute façon.” Marmonne Kano en le regardant du coin de l’œil.
“Bordel, mais t’as pas un mode off ?” Ce mec est exaspérant au plus haut point et pour couronner le tout, il paraît même réfléchir très sérieusement à la question. “Hmmm, je l’ai pas encore trouvé en vrai… ” Fredonne-t-il, amusé.
“C’était rhétorique… ” Soupire Léo en se frottant le visage d’agacement. “Bien sûr… Sinon, t’as prévu quelque chose pour la soirée ?”
La réponse est instantanée et cinglante. “Oui, me débarrasser d’un nuisible !”
Kano se redresse vivement en regardant autour de lui. “Où ça ? Je croyais que c’était un hôtel étoilé, ici ?” Dramatique à souhait… Léo ne sait pas ce qui le retient de l’étouffer sous un oreiller. Non, il sait très bien en fait… Et ça l’exaspère d’autant plus. “C’est toi le nuisible, imbécile.” Gronde-t-il en levant les yeux au plafond. “Ah… Mince, je crois que je suis déçu… ” La voix faussement abattue de Kano lui arrache un énième soupir. “T’es sûr que tu peux pas essayer de trouver un moyen de retourner dans ton monde ?” N’obtenant qu’un haussement d’épaule désintéressé, il se rapproche de lui en le toisant d’un regard maussade. “Je sais pas moi, médite ou imagine un truc, n’importe quoi ! Fais quelque chose avant que je perde mes moyens.”
“Si tu l’aimes, tu me feras pas de mal. Je le sais, tu le sais. Alors, pourquoi je me casserai la tête ? Hmm ?” Minaude Kano avec son sourire sardonique. Léo prend sur lui et sert les poings. Il déteste qu’il ait raison et par-dessus tout, il déteste qu’il utilise cet argument contre lui. Il rage, il peut sentir la colère prendre le dessus malgré ses efforts. C’est comme si de la lave coulait soudainement dans ses veines.
“Ramène-le-moi.” Articule-t-il en contenant sa colère du mieux qu’il peut. “Okay, okay… Mais, m’en veut pas, si j’échoue.”
“Applique-toi, et on en reparle.” Gronde Léo sourdement en croisant les bras solidement sur son torse. Il a plutôt intérêt à réussir, car il ne sait pas combien de temps, il va encore supporter cette charade. Kano fredonne pensivement avant de se mettre en tailleur, omettant de retirer ses chaussures. Léo se pince l’arrête du nez. “Tes pompes… ”
“Ah, oui, maintenant que tu le dis… ” S’esclaffe l’autre imbécile en envoyant valser ses baskets au hasard. Il se réinstalle ensuite confortablement sur le lit et ferme les yeux. Léo s’appuie contre le mur et garde un œil dubitatif sur lui. Sa mâchoire est crispée et il espère vraiment que ce con n’est pas encore une fois en train de se foutre de sa gueule.
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