All I want for Krissmasse is you

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Les quelques jours qui suivirent furent aussi palpitant que le train de vie d'un octogénaire. Elles marchaient encore et toujours dans la même campagne, où elles ne croisaient que des aventuriers enrhumés et des agriculteurs avides de renforts pour leurs champs. Fourbues, elles dormaient dans des auberges bon marché et à la literie douteuse. Leurs unités se réduisaient comme peau de chagrin et leurs cernes s'agrandissaient, il leur fallait vite gagner des points de quête en quantité. Poise se drapait chaque matin de sa mauvaise humeur et ne daignait défroncer ses sourcils qu'au moment du coucher. Marxia, quant à elle, conservait sa joie de vivre et s'entrainait dès qu'elle le pouvait avec son arc moghole. Elle ne le maîtrisait pas encore parfaitement, mais ses progrès lui paraissaient encourageants.

C'est dans cette ambiance en demi-teinte, au-dessous d'un ciel aussi gris que la barbe d'un vieux magicien, qu'elles virent se profiler les premières demeures du village estampillé “ cité de caractère ”. Les toits pointus, de guingois, et couverts d'ardoise, donnaient l'impression de sortir d'un conte de fée. Les cheminées fumaient et les façades se couvraient de colombages colorés. Les bras chargés de paquets, des badauds pressés déambulaient dans les rues pavées.

L'atmosphère guilleret du lieu dérida même Poise, qui s'empressa de coller son nez aux vitrines. Elles déambulèrent dans la foule, au milieu des enseignes de confiseurs, fabricants de jouets en bois, taxidermiste et autres boutiques aguicheuses. Les prix affichés les firent cependant déchanter. Elles ne se trouvaient pas en capacité de se payer le moindre pot de crème de marron.

Les très nombreuses décorations du village annonçaient la saison de Noël. Les devantures s’ornaient de branches de houx, des guirlandes aux diodes colorées clignotaient dans les rues. Ne manquaient plus que les chants parlant de neige, sapin et autres paquets cadeaux.

Marxia indiqua à Poise le guichet d’information de la ville.

Un lutin aux cernes béantes et à la mine lugubre devança leurs salutations :

— Bonjour, je suis Pectine, entama-t-il d’une voix sans entrain. Que puis-je faire pour vous ?

Il éternua avec bruit, faisant tintinnabuler le grelot de son bonnet de père noël. Marxia retint un gloussement.

— Bonjour Pectine, répondit l’elfe noire, peu attirée par l'état apathique de leur interlocuteur. Quel genre de quêtes on peut effectuer dans cette ville ?

Le lutin les regarda d’un œil vaseux et se mit à gratter de son soulier pointu sa cheville opposée, couverte d’une haute chaussette rayée.

— Bienvenus au village de Krissmasse. Notre belle cité s’ouvre au public pour la période des fêtes de fin d'année. C’est d’ici que partent la majorité des fabuleux cadeaux vendus en magasins pour vous ravir sous le sapin.

Il essuya son nez sur la manche de sa tunique en velour rouge avant de continuer :

— Nos charmantes usines se trouvent à flanc de montagne, mais nous tenons à notre splendide village commercial, qui reste la vitrine féérique de notre savoir faire. Aucune quête n’est à pourvoir dans l’enceinte de Krissmasse. Nous proposons des dîners et soirées de réveillon inoubliables dans nos merveilleux établissements. Nous vous souhaitons d’excellentes fêtes en notre compagnie.

La voix monotone et sans entrain du petit personnage mourut. Il leur tendit un sucre d’orge chacune ainsi qu’une brochure des évènements à venir.

Perplexes, les deux jeunes femmes s’éloignèrent après avoir remercié l’insipide agent d’accueil.

Un peu décontenancées, elles firent une halte au stand de chocolats chauds, tenu par Chocolatine, comme indiqué sur son badge.

— C'est pas hyper encourageant, commenta Poise. La prochaine ville est à plusieurs jours de marche et on a pas un raisin à dépenser pour le Réveillon.

Le lutin lui tendit un gobelet qui lui brûla les mains.

— En parlant de ça, rebondit Marxia, j’ai aperçu le prix des chambres sur la façade d’un hôtel et ça n’est pas dans nos cordes.

L’elfe noire parût d'autant plus dépitée.

— Il fait pratiquement nuit. Qu’est-ce qu’on va faire ?

Son amie régla leurs consommations au lutin.

— Vous savez, leur glissa-t-il en faisant tomber les pièces dans sa caisse, il y a pas mal de lutins surmenés en cette saison. Je peux vous assurer que si vous donnez un petit coup de main, on vous offrira le gîte et le couvert.

Le duo échangea un regard.

— Je vous conseille d’aller traîner du côté de l’auberge du Pain d’Epices, poursuivit Chocolatine. C’est là que logent les employés du village.

Le binôme s’empressa d’engloutir les chocolats chauds — ce qui leur laissa des cloques dans le gosier — avant de remercier leur informateurs et de se hâter vers le lieu indiqué.

Elles reprirent l’artère principale et bifurquèrent dans une ruelle. L’étroite rue aux senteurs de soupe froide débouchait sur une impasse, à l’écart de l’agitation du centre-ville. Un grand établissement emplissait le fond du cul de sac. Les aventurières levèrent le nez pour contempler ses multiples étages. Les encadrements de fenêtre marrons contrastaient avec les murs safranés et des uniformes de lutins pendaient çà et là sur des fils. On eut dit que l'auberge était réellement faite de pain d'épice, et qu'un pâtissier-architecte avait décoré la façade d'arabesques en glace royale.

Ils doivent en loger des lutins là-dedans, pensa Marxia, qui contemplait les faux stalactites en sucre qui pendaient de la toiture.

Poise approcha son petit bout de nez rond du mur et renifla un bon coup.

— Ça sent vraiment la cannelle ! s'extasia-t-elle.

Marxia se plaça à ses côtés et s’appliqua à humer l’édifice avec ferveur.

— Je peux vous aider ?

Elles firent volte face pour découvrir une lutine, les poings sur les hanches, un sourcil en l’air, en train de les juger sans retenue.

— Hum… oui... pardon... bafouilla Poise, mal à l'aise. En fait on a pas vraiment de quoi se payer une chambre et on a entendu dire que certains employés auraient besoin de souffler un peu. Si jamais vous aviez besoin de renforts pour ce soir, on pourrait trouver un terrain d’entente.

La lutine les détailla quelques instants avant de lancer :

— Je vais voir ce que je peux faire. Attendez ici.

La petite femme disparut dans le bâtiment. Après quelques secondes d'hésitation, Marxia s’employa à détacher un morceau de la rambarde d’escalier pour la grignoter. Sa partenaire, craignant pour leur réputation, s’empressa de l’arrêter. Elles se chamaillèrent en silence jusqu’à entendre des pas revenir dans leur direction.

Un bruit de casse dans le dos de Poise lui indiqua que son amie venait d’arriver à ses fins. Elle serra les poings et se promit de lui passer un savon plus tard.

Trois lutins apparurent dans l’encadrement de la porte et les jaugèrent du regard.

Celle qui leur avait demandé d’attendre redressa son bonnet à grelots et déclara :

— On va pouvoir s’arranger. Glycine ne se sent pas très bien.

Elle indiqua la lutine à sa gauche, qui se massait les tempes pour lutter contre sa migraine.

— Et Mousseline voudrait prendre sa soirée pour voir son petit ami.

Elle pointa la lutine de droite.

— Elles travaillent dans le même restaurant, Le bistrot des marrons chauds. Vous assurez le service du soir et vous avez une chambre ici pour la nuit.

— Parfait ! s’exclama Poise, un rare sourire sur le visage.

Elle se tourna vers sa binôme, restée muette contre son habitude, un énorme morceau de rambarde coincé dans une joue. De sa main libre, la demi-elfe leva un pouce en l’air en signe d’approbation.

Elles écoutèrent avec attention les explications des lutines sur leur travail et vadrouillèrent en ville jusqu’à l’heure du service.

Marxia boudait encore quand elles se présentèrent devant le bistrot. Poise avait passé un temps considérable à la sermonner et lui avait en plus supprimé son goûter.

Elles se faufilèrent dans le restaurant par l’entrée du personnel, puis cherchèrent le chef d’équipe. Les lutins se bousculaient dans les cuisines surchauffées. On criait des ordres, on passait avec des plateaux, on scandait "Chaud !" en sortant des plats du four. Un lutin au tour de taille rebondi et à la haute toque immaculée leur lança un regard assassin. Les filles se hatèrent de fiche le camp et trouvèrent Ballottine dans les vestiaires. Il parcourut avec attention leur lettre de recommandation.

— Bon, comme c’est ma cousine Saccharine qui vous envoie, je vais vous faire confiance. Vous êtes embauchées pour la soirée.

Il n'épilogua pas et dénicha des uniformes à leur taille. Après une courte série d’instructions, il retourna vaquer à ses occupations.

Marxia se dirigea vers une cabine pour se changer, peu emballée par l'ambiance de travail. Elle comprenait mieux que les lutines veuillent prendre une soirée de pause. Fin prête, elle attendit sa binôme, qui ne reparaissait pas. Les vestiaires et leur odeur de jus de chaussettes et d'aisselles à bout de souffle ne l'enchantaient pas, aussi espérait-elle en sortir le plus vite possible.

— Poise, tout va bien ? Tu es prête ?

— Je ne veux plus y aller… émit l'intéressée d’une toute petite voix.

— C’est à cause du chapeau ? devina l’archère. C’est vrai qu’il est particulier, mais tout le personnel le porte, personne ne se moquera.

L'elfe noire émit le bruit d'un ventre ballonné.

— Je vais mourir de honte, je veux plus y aller j'te dis ! insista-t-elle à l'instar d'une enfant en plein caprice.

Marxia souffla du nez, irritée tant par le parfum des lieux que par sa binôme.

— C’est ça ou on dort dehors. Alors, tu choisis quoi ?

La porte de la cabine s’ouvrit sur une créature aux yeux larmoyants. Poise ne supportait pas l’humiliation, trait de caractère commun de la branche elfique dont elle était issue. Les elfes noirs, et leur égo sensible, préféraient de loin mourir foudroyés que de s’étaler en public sur la place du marché. Poise souffrait depuis longtemps du regard de sa communauté sur sa dépigmentation de peau. Elle se jura de changer de pays et d’identité si par malheur sa famille la surprenait dans cet accoutrement.

L’uniforme du bistrot se composait de chaussures vernies noires, d’un tee shirt et d’un pantalon noir, ainsi que d’un tablier blanc avec une poche sur laquelle on retrouvait le nom du restaurant. Ne manquait plus que la touche finale — celle-là même qui traumatisait Poise — un couvre-chef en forme de dinde de noël, qui s’attachait sous le menton avec un scratch.

L’elfe noire traîna des pieds derrière son amie, un air misérable peint sur ses traits. Marxia lui lança un coup d'œil amusé.

— Mais allez, ça n’est pas si mal, l’encouragea-t-elle. Et puis, ça donne un petit côté festif.

— Je veux plus en parler, conclut Poise, qui espérait de toutes ses forces que ses ancêtres ne soient pas en train de la maudire sur dix générations.

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