La grande ménagerie
Le lendemain matin, les aventurières trouvèrent un plateau sur le bureau. Elles se saisirent des briochettes posées dessus et s’empressèrent de les manger. Gerlin fit son apparition alors que les dernières miettes du petit déjeuner disparaissaient. À sa mine défraîchie, les filles comprirent que le magicien n’avait pas fermé l'œil de la nuit. Il leur servit une tasse de café chaud et corsé et but directement le reste à même la cafetière.
— Vous n’avez plus à vous en faire pour Emo, indiqua-t-il. Je crois qu’il ne se montrera pas en public avant un moment.
Il donna un coup de pied dans un carton pour se frayer un chemin jusqu’à son fauteuil, dans lequel il se laissa tomber. Le binôme échangea un regard chargé d’incompréhension. Le magicien leur fit un résumé des évènements de la veille.
— Pour autant, termina-t-il, ne trainez pas trop dans le coin. On ne sait jamais. Emo a la rancune tenace. Je vais vous mener aux sanitaires. Vous allez pouvoir vous rafraîchir avant de reprendre votre route.
Gerlin n’était pas d’humeur à bavarder, aussi se plongea-t-il dans ses commandes le temps que les aventurières rassemblent leurs affaires. Une rapide toilette, et des vessies vidées, plus tard, les deux amies se retrouvèrent sur le chemin forestier.
Gerlin et Kerlin les regardèrent partir. Les filles agitèrent une dernière fois la main vers eux avant de prendre un virage.
— Eh bah, commenta Poise. Pas facile comme rupture apparemment.
— Comme quoi, on peut être un puissant magicien et avoir une grosse peine de cœur.
Les températures se faisaient de plus en plus basses. Il ne fallut pas dix minutes avant qu’elles ne puissent plus sentir leurs doigts.
— Il faut qu’on fasse une halte, émit Marxia, avant de souffler sur ses moufles pour y faire pénétrer un peu de chaleur.
— Là ? Dans la forêt ?
Poise n’osait ralentir le pas, de peur que le froid n’engourdisse ses membres.
— Non, je veux dire, au moins pour le mois à venir. On ne va pas continuer à avancer vers les montagnes par ce temps, on va geler sur place.
L’elfe noire ne put qu’opiner à la réflexion. Les articulations de ses genoux grinçaient, raidies par les températures.
— Comment on va faire ? Je pense pas qu’on ait assez d’unités pour se payer l’hôtel plus d’une semaine.
— Non, mais repense à Krismasse, si l’on travaille pour quelqu’un, on aura certainement le gîte et le couvert en échange.
Marxia mettait le doigt sur une proposition intéressante. Poise devait bien avouer qu’elle se sentait déjà lasse de parcourir les routes. Elles avaient négligé leur préparation physique et son corps menaçait de l’abandonner et de rentrer à la maison. Un peu de sédentarité leur permettrait de se remettre d’aplomb pour la belle saison. L’elfe noire imagina la chaleur du soleil sur son visage, le parfum des fleurs, le chant des oiseaux… Elle rêvait du retour du printemps.
— Je te suis, dès qu’on arrive dans la prochaine ville, on essaie de se faire embaucher !
Après plusieurs heures de marche laborieuses, entrecoupées des plaintes de Poise, la ville de Monture montra le bout de ses toits.
— C’est grand et ça pue, résuma l’elfe noire.
Marxia ne pouvait la contredire, une forte odeur émanait des rues.
— On dirait qu’il y a plus d’animaux que d’humains ici, remarqua-t-elle. Ça explique pas mal l’ambiance olfactive.
Partout dans les rues, des marchands tiraient par le licol des poneys, autruches, lamas, cerfs et autres créatures pouvant accueillir un fessier sur leur dos.
— Je crois que ça a un rapport avec le nom de la ville, devina la demi-elfe en enjambant un tas de déjections. Ce doit être le lieu idéal pour trouver un animal dressé à transporter son paquetage, ou un cavalier.
L’artère pavée émergea sur une grande place. Se dressait là un marché aux bestiaux où les cris des animaux et ceux des éleveurs se mêlaient en une grande cacophonie.
Les aventurières cachèrent leurs nez dans leurs écharpes. L’air n’embaumait pas la petite fleur des champs. Pour la première fois, elles croisèrent des aventuriers chevronnés. Leurs panoplies dernier cri et leurs ports de tête altier ne trompaient pas.
— Un cheval ailé pour 1000 unités ? Mais vous êtes tombé sur la tête ! s’ulcérait un homme musculeux sous son armure dorée.
— C’est les prix mon bon monsieur, argumenta le marchand. Les aventuriers de votre trempe se font rares, il faut bien qu’on gagne notre pain. Si vous saviez comme ça coûte cher d’entretenir des bêtes.
Les filles passèrent leur chemin.
— C’est vrai que ça fait beaucoup d’offre pour peu de demande, souffla l’elfe noire à sa binôme.
— Je n’ose pas imaginer ce qu’ils font des animaux qui ne sont pas achetés.
Les deux aventurières blêmirent à cette pensée. Elles caressèrent des poneys à la mine triste, agressés par le bruit et les odeurs du marché. Le cœur serré, elles s'apprêtaient à quitter les lieux lorsqu’elles aperçurent une marchande qui ployait sous le poids de caisses en bois.
— Attendez ! cria Marxia en s’élançant pour l’aider. Vous allez vous ruiner le dos.
— Merci, souffla la femme, les joues rougies par l’effort.
La demi-elfe plaça la cargaison dans une charrette tirée par deux alpagas blancs.
— C’est drôlement lourd, fit-elle remarquer avant de rouler ses épaules pour les détendre.
— Oui, ce sont tous les invendus, soupira la femme.
Elle essuya son front trempé de sueur et leur offrit un faible sourire.
Poise observait les animaux. Leurs oreilles trahissaient une certaine tension face au brouhaha ambiant.
— Ça crache ces trucs là, non ? demanda-t-elle à la marchande.
La femme à la longue natte brune vint flatter l’encolure de ses bêtes.
— Plus sur leurs congénères que sur les humains, rassurez-vous. Vous venez d’arriver en ville ?
— Oui, répondit Marxia, que les harnachements couverts de pompons colorés des alpagas ravissaient.
La femme tapa ses bottes en caoutchouc sur les pavés pour en détacher la boue et la paille, avant de monter à la place du conducteur.
— Je peux vous faire faire un petit tour pour vous remercier de votre gentillesse, si vous voulez.
— C’est très gentil, remercia Poise, mais vous avez l’air pas mal occupée. On voudrait pas vous déranger.
Un homme passa, menant à la baguette un groupe d’oies aux plumes d’or. L’elfe noire s’éloigna des volatiles, saisie par la peur de se faire pincer, souvenir malheureux d’enfance.
— Pensez-vous, sourit la marchande, les rênes en mains. Au contraire, ça me changera les idées. Allez, montez !
Les filles ne se firent pas plus prier et se hissèrent aux côtés de leur nouvelle guide.
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