Après nous, le Dégel
La neige tombait à gros flocons alors que ma voiture traversait le lac gelé de Ray Hubbard, il faisait si froid que le thermomètre avait gelé, la voiture avançait difficilement à travers l'épaisse couche de neige recouvrant le pont qui pourtant avait été déneigé au matin. Alors que je contemplais l'immensité gelée du lac autour de moi, je fus rappelé à la réalité par mon chauffeur qui venait d'arrêter la voiture. Un homme de la New United State Federal Security Forces vint alors taper à ma vitre. Je décidai à contre cœur d'ouvrir ma fenêtre, au risque de laisser échapper le peu de chaleur que contenait la voiture. Le Policier, presque invisible sous ses vêtements d'hiver, chassa avec sa main son écharpe afin de dégager sa bouche :
— Papiers, je vous prie, me dit-il.
— Bien sûr, dis-je alors tout en cherchant mes papiers dans mon attaché-case, les voici.
Le policier les attrapa. Je me demande comment il fit pour lire quoi que ce soit à la vue des flocons qui lui passaient devant les yeux. Après plusieurs minutes, le policier me les rendit et me salua avant de rajouter :
— Bien, tout est en règle, bon retour à New Washington, sénateur Barkley. Et que le froid vous épargne.
— Merci, lui répondis-je, à vous aussi, monsieur l'Agent.
Ma voiture repartit alors. En arrivant au bout du pont, celle-ci passa devant un panneau de signalisation presque entièrement enseveli par la neige, sur lequel nous pouvions encore distinguer ce qu'il y avait écrit : Dallas, l'ancien nom de la ville, maintenant capital des Nouveaux Etats Unis d'Amérique, seul vestige de la civilisation d'après l'Holocauste Nucléaire. Enfin, c'est du moins ce que le gouvernement enseignait à la population. Que cela fut vrai ou faux, cela avait peu d'importance, surtout dans un pays où la première cause de mortalité est le froid. Finalement, ma voiture pénétra au sein du Capitole, un immense complexe fortifié regroupant les quartiers centraux de la ville ainsi que les administrations fédérales. Au sein de celui-ci, les lampadaires gelés avaient laissé place à d'épais tuyaux de fonte laissant échapper de longues flammes, seules et faibles sources de chaleur, l'un des nombreux avantages des résidents du Capitole. Ma voiture s'arrêta sur le parvis du Dallas City Hall, là où siégeait le congrès des Nouveaux Etats Unis d'Amérique. La température à l'intérieur du bâtiment n'était guère plus élevée qu'à l'extérieur, mes pas résonnaient dans le bâtiment ; malgré la présence de mes confrères, un silence de mort régnait dans le hall. A mon entrée dans la chambre du congrès, l'ambiance était aussi glaciale que les températures environnantes. Les Sénateurs et les représentants s'étaient assis religieusement à leurs sièges. Accroché au mur en face de nous, le drapeau des Nouveaux Etats Unis D'Amérique. Notre ancienne bannière étoilée avait reçu des modifications depuis la guerre. Les cinquante étoiles avaient ainsi laissé place à sept étoiles disposées en cercle représentant les sept Etats du pays, entourant une étoile à sept branches, symbolisant New Washington.
La séance qui allait se tenir serait différente des séances habituelles. Car jamais notre Nation n'avait eu à gérer pareille crise depuis sa création. Malgré cela, notre président ne vint pas à cette séance. Seul le regard sévère et paternaliste de son portrait accroché au-dessus de son siège, exactement entre les deux drapeaux, nous rappelait sa présence mentale. Alors que je me laissais encore emporter par mes rêveries, je fus tiré de celles-ci par la voix du vice-président, ayant pris place à côté du siège vacant de notre président. Celui-ci nous rappela les événements:
— Comme vous le savez, nous dit-il, les récentes décisions du Gouverneur de Mexico ont poussé cet Etat à se soulever face à notre président Jarry. Seule une réponse forte et rapide nous permettra de maintenir la cohésion et la démocratie au sein de l'Union.
La démocratie... Tous ici ont connu le monde d'avant-guerre. Tous savent ce qu'est réellement la démocratie. Le régime instauré par Andrew Jarry il y a 20 ans n'est pas une démocratie. Le peuple est opprimé par les forces Fédérales et meurt à petit feu dans cet immense désert de glace s'étendant de l'ex Canada au Sud de l'ancien Mexique que l'on nomme Nouveaux Etats Unis d'Amérique. Mais qui se soucie vraiment de cela maintenant ? Jarry avait promis à qui voulait le suivre un avenir meilleur. 20 ans ont passé, les conditions n'ont pas changé, le régime se durcit au fur et à mesure que notre président prend de l'âge, et même au sein de la classe dirigeante, Jarry devient une lourde et encombrante croix. Mais qui aurait pu oser s'opposer à celui que tout le monde considérait comme le sauveur de la civilisation et des valeurs des anciens Etats Unis d'Amérique ?
— Barkley, me glissa à l'oreille mon voisin de séance, c'est à vous, voyons.
— A moi ?
— La situation au Mexico. Compléta-t-il alors.
Aussitôt, je me levai, c'était à présent le moment de raconter à mes confrères ce que j'avais vu au Mexico, un souvenir encore chaud dans ma mémoire, ayant quelques semaines tout au plus. Mais que leur raconter ? La colère d'un peuple mourant doucement mais sûrement ? La vie extravagante du Gouverneur ? Les New United State Federal Security Forces ayant ouvert le feu sur la foule lors d'une manifestation pacifiste ? Bien sûr que non. Je n'étais pas là pour dire cela, et ils n'étaient pas là non plus pour m'écouter dire cela. Alors je leur dis ce qu'ils voulaient entendre. Que le peuple avait poussé les forces de l'ordre à ouvrir le feu. Que le gouverneur avait tout fait pour empêcher les débordements et qu'il fallait frapper fort pour montrer que notre pays ne se laisserait pas marcher sur les pieds facilement. J'étais presque écœuré par ce que je disais, car je savais ce qu'il s'était vraiment passé. Mais c'était comme ça, qui ici aurait voulu écouter une vérité qui aurait directement incriminé toute la classe dirigeante.
Les débats qui suivirent ma prise de parole furent houleux, mais bien vain. La décision finale revenait à notre président. Toutes les décisions revenaient à notre président. Le congrès n'était qu'une énième façade démocratique légitimant le pouvoir de Jarry. Finalement, au bout de plusieurs heures où les plaidoiries et les réquisitoires en faveur ou non de l'instauration de la loi martiale au Mexico, un homme entra en trombe dans la chambre. Il portait une chapka trop grande pour lui et ses vêtements étaient encore couverts de neige, son regard laissait échapper une grande inquiétude. Il glissa quelques mots au vice-président, lui communicant par la même occasion son angoisse. Il prit aussitôt la parole, coupant au passage un représentant en plein dans l'exercice de sa fonction.
— Mes chers amis. J'ai l'obligation de vous annoncer un événement des plus désastreux. En effet, je viens d'apprendre que notre confrère le gouverneur du Mexico vient d'être sauvagement exécuté par ses concitoyens, ceux-ci auraient composé un nouveau gouvernement local et appelé les autres Etats à faire de même.
Ces mots résonnaient comme un tocsin dans ma tête. Le gouverneur du Mexico, un homme que j'avais rencontré il y a quelques jours, mort. Même si je ne le portais pas dans mon cœur, je connaissais personnellement cet homme, et sa mort, même si elle ne me surprenait pas, m'affectait étrangement. Alors que je me lamentais encore sur le monde, je fus encore une fois réveillée par mon voisin, la séance avait été levée, les parlementaires étaient priés de quitter la chambre du congrès. Je me levai donc de mon siège, j'étais engourdi aussi bien par les heures assis ici que par le froid environnant. Il était temps pour moi de regagner ma maison, que j'avais laissée depuis mon départ au Mexico. En ressortant du Dallas City Hall, je dérapai sur une plaque de verglas et tombai dans l'une des congères tassées le long du bâtiment. Je me relevai difficilement et me propulsai vers ma voiture, j'étais gelé, et une nouvelle tempête de neige arrivait.
Mon chauffeur parvint tout de même à atteindre la maison avant que le blizzard ne devienne trop dense. Je me fis presque immédiatement couler un bain. Probablement le seul avantage que je possédais en tant qu'habitant du Capitole que je n'échangerais pour rien au monde. Je profitais de ces quelques minutes de tranquillité pour faire le vide dans mon esprit. Cette journée avait été fatigante, entre les nombreuses heures de voiture, la séance houleuse du congrès et l'annonce de la mort du gouverneur. Je sortis de ma baignoire avant que l'eau ne devienne trop froide. L'intensité lumineuse baissait dehors et la nuit arrivait lentement. Je dînais le soir venu avec mon chauffeur et sa famille, ceux-ci vivaient chez moi, afin d'économiser les ressources de chauffage. Nous étions assis autour de la table centrale, le poste de radio placé au centre de celle-ci diffusait des chants patriotiques. Mon statut de sénateur me permettait d'avoir autre chose à manger que de la soupe légère, et la femme de mon chauffeur était une excellente cuisinière. Mais soudainement, les chants à la radio cessèrent et laissèrent place à la triste et monotone voix du vice-président.
— Mes chers compatriotes, nous l'avons appris il y a peu, des mouvements contestataires, suivant ceux du Mexico, viennent d'éclater dans les différents Etats du pays. Ces mouvements sont dirigés par des groupuscules terroristes, nous serons fermes sur la réponse que nous leurs apporterons, c'est pourquoi nous déconseillons à nos concitoyens de sortir de leurs domiciles. Nous sommes le dernier fragment de la civilisation. Notre seul espoir est dans le maintien de l'ordre au sein du pays. Vive la démocratie, vive le président Jarry, et que le froid épargne nos concitoyens n'ayant pas sombré dans le fanatisme terroriste !
La nouvelle, bien que préoccupante, ne m'étonnais pas plus que la mort du Gouverneur du Mexico. Comme si je savais au fond de moi que toutes les peines, les angoisses, les peurs des citoyens des Nouveau Etats Unis allaient finir par se cristalliser et qu'il ne manquait qu'une étincelle pour allumer la poudrière ; cette étincelle fut la fusillade du Mexico. La famille de mon chauffeur semblait abasourdie par la nouvelle, tous avaient arrêté de manger, et regardaient la radio, comme pour la supplier de continuer ces récits. Pour ma part, je ne savais pas comment réagir, j'étais partagé entre un sentiment de fatalité et une angoisse profonde. Une fois le dîner terminé, je regagnai mon bureau où je m'attelai à terminer plusieurs travaux que je devais finir pour la prochaine séance du congrès. Mais un peu avant vingt-deux heures, mon chauffeur entra dans mon bureau et me demanda l'autorisation d'emmener sa famille hors de New Washington, de peur d'un soulèvement. Je me dis qu'au vu des températures à cette heure, sa crainte du soulèvement devait être plus forte que la peur du froid. Même si je n'aimais ni me savoir seul chez moi ni savoir mon chauffeur dehors de nuits, j'acceptai, à la condition toutefois qu'il revienne le plus vite possible. Celui-ci, même si cette dernière clause semblait l'attrister, accepta. Ils partirent presque aussitôt, me laissant seul pendant deux heures. Mon chauffeur revint ainsi vers vingt-trois heures, j'attendais son retour pour enfin aller dormir. Je ne pouvais m'empêcher de penser, une fois dans mon lit, à cette journée. Jamais, depuis la guerre, les événements ne s'étaient aussi vite précipités et si mon chauffeur, d'habitude si cartésien, avait préféré emmener sa famille loin de New Washington, alors la situation devait être bien plus préoccupante qu'à l'accoutumée. La nuit porte conseil et même si le froid était pesant, je parvins à m'endormir rapidement, bercé par le bruit du blizzard.
Mais la nuit fut courte. Je fus réveillé quelques heures plus tard par mon chauffeur. De nombreuses explosions s'étaient fait entendre aux abords du Capitole et le vice-président demandait la présence de tous les représentants et les sénateurs pour une séance extraordinaire du congrès. J'eus tout juste le temps de m'habiller et nous partîmes pour le Dallas City Hall. Sur le trajet, je vis par la fenêtre de ma voiture les New United State Federal Security Forces courir dans un impressionnant désordre mais ce qui m'étonna le plus, ce fut de voir les grandes torches éteintes. Les explosions continuaient à se faire entendre. Arrivé devant le bâtiment, je me précipitai à l'intérieur tout en prenant soin d'éviter la plaque de verglas sur laquelle j'avais dérapé quelques heures plus tôt. En entrant dans la cambre du congrès, je vis le vice-président, le regard absent mais rempli de crainte, assis à son siège. Celui du président était toujours vacant. Une fois la salle pleine, le vice-président prit la parole et nous annonça les raisons de notre présence. La situation était en train de prendre une tournure inattendue, les quartiers périphériques de New Washington venaient de se soulever. Il eu à peine le temps de finir sa phrase qu'un groupe d'hommes entra dans la chambre et se dirigea vigoureusement vers lui. L'un d'entre eux avait un fusil dans la main droite et son manteau, blanchi par la neige, indiquait une recrudescence du blizzard. Il monta sur la table située devant le siège du Président et tira un coup de feu au plafond.
— Au nom du comité fédéral provisoire de New Washington, vous êtes suspendu de vos fonctions. Hurla alors l'homme au fusil. Celui-ci statuera de votre sort lors de votre procès pour crime contre l'Humanité.
— C'est une plaisanterie ? S'indigna l'un des sénateurs. De quel droit avez-vous le pouvoir de décider de ceci ?
— Le droit du peuple à disposer de lui-même ! rajouta l'homme au fusil, qui le braquait à présent en direction du sénateur. Le bâtiment est cerné par les forces du Comité. Votre temps est à présent terminé !
Alors que l'homme au fusil s'apprêtait à tirer sur le sénateur, une autre explosion, plus forte que les précédentes, ébranla le bâtiment et fit tomber l'homme de son promontoire. Ce fut cette explosion qui nous sauva la vie. Certains de mes collègues, les plus courageux d'entre eux, sautèrent sur lui et arrachèrent son fusil. Assis sur mon siège, je vis les personnes ayant accompagné cet homme tenter de sortir précipitamment de la chambre, mais une fois le pas de la porte franchi, plusieurs coups de feu se firent entendre, et des New United State Federal Security Forces entrèrent dans la chambre, le canon de leurs fusils mitrailleurs encore chaud et fumant. L'un d'entre eux nous expliqua clairement qu'il était temps pour nous de quitter le Capitole, et que le seul accès sécurisé était par les égouts. Aussitôt, les sénateurs et les représentants encore assis se levèrent dans un même élan. Je suivis le mouvement, mon attaché case serré contre ma poitrine.
En sortant de la chambre, un fort vent gelé me frappa de plein front, la baie vitrée du hall avait été brisée par un camion de transport et laissait entrer le blizzard dans le bâtiment. Une fumée de plâtre et de neige emplissait la pièce alors que nous étions dirigés vers les caves. Autour de nous, plusieurs corps sans vie, aussi bien issus des forces rebelles que fédérales. Ne parvenant pas à distinguer mon chauffeur, je fus tout de même rassuré de ne pas voir ma voiture sur le parvis du bâtiment. Les coups de feu résonnèrent dans tout le bâtiment, certains de mes collègues furent touchés, quelques-uns ne se relevèrent pas. Une fois dans les caves du Dallas City Hall, nous fûmes conduits via une trappe d'égout dans les sous-sols. L'atmosphère y était viciée et l'odeur difficilement supportable mais les quelques mètres de terre au-dessus de nous maintenaient une température relativement élevée au sein de l'enchevêtrement de tunnels servant d'égout et, depuis peu, de conduits de fuel alimentant les torches du Capitole. Mais alors que nous suivions les gardes fédéraux nous accompagnant, une balle vint se planter dans mon attaché-case que, par réflexe, je jetai par terre en même temps que je me baissai. Les rebelles se trouvaient fièrement devant nous et nous tenaient en joug. L'un d'entre eux, un grand blond balafré au niveau de l'œil droit, s'avança vers nous :
— Vous êtes donc assez lâches pour fuir vos dernières responsabilités ?
— Que ce soit la mort ou le procès truqué, l'interrompit l'un de nos gardes fédéraux, avouez que cela n'est pas bien aguicheur.
— Peu importe, ajouta l'homme balafré, veuillez nous suivre et personne ne mourra ici.
— Plutôt mourir ! hurla le garde fédéral en sortant son fusil mitrailleur. Vive le président Jarry !
Je me jetai au sol aussi vite que je pus alors qu'une fusillade débutait entre les gardes fédéraux et les rebelles. Autour de moi, certains de mes collègues tombèrent, touchés par une balle perdue. Je réussis toutefois à me faufiler vers un croisement et à me cacher dans une galerie perpendiculaire avec d'autres sénateurs et représentants. Nous prîmes la décision de continuer à travers ce tunnel en voyant le vice-président, ensanglanté, tomber sans vie juste à l'angle entre notre tunnel et celui où avait lieu l'affrontement. Nous courûmes dans les galeries, cherchant, sans bien savoir où trouver une issue. Mais une explosion, une de plus, retentit et fit vibrer les murs des égouts. Nous eûmes tout juste le temps ne nous rendre compte de ce qui venait de se passer qu'une intense et brûlante lumière se mit à se rapprocher. La lutte que nous avions fuie avait fait s'enflammer les tuyaux de fuel, et cette mortelle boule de feu nous fonçait à présent dessus. Je parvins à me sortir de ce piège fatal mais tout alla de façon à ce que je perde mes camarades d'infortune. A nouveau seul, je n'eus d'autre choix que de continuer. Après la traversée, d'une durée que je serais bien incapable de donner, de ces couloirs étouffants, je parvins à apercevoir la sortie. Le blizzard m'arrivait dans la figure et me paralysait le visage, mais j'étais enfin sorti.
Je m'enfonçais dans l'épaisse couche de neige s'étendant tout autour de moi, j'étais gelé. J'entendais derrière moi le bruit des combats dans New Washington et, à chaque pas, je me demandais si j'avais bien fait de sortir des égouts et si je n'aurais pas dû rester en ville. Le blizzard mêlé à la pénombre de la nuit m'empêchait de savoir où j'étais. Soudain, une lumière, des phares de voitures, j'étais sauvé ! J'avançais difficilement mais vers le macadam, porté par la force du désespoir, je n'en pouvais plus. Alors que j'avançais sur la route, la voiture s'arrêta. Plusieurs hommes en descendirent, je reconnus l'un d'entre eux. C'était le président Jarry. Il me regardait de son regard glacé, la neige se perdait dans ses cheveux grisonnants. J'essayai tant bien que mal de me redresser :
— Monsieur le président. réussis-je à faire sortir entre mes lèvres gercées par le froid.
— Vous êtes ? me dit-il sur un ton froid et ne laissant paraître aucun sentiment.
— Barkley, monsieur.
— Barkley... Vous êtes sénateur, n'est-ce pas ?
Je hochai la tête, Jarry m'examina alors de haut en bas. Puis il se tourna vers New Washington.
— Regardez cela, Nous leur avons apporté tout ce qui était en notre pouvoir, et voilà comment ils nous remercient. Nous, qui avons tout fait pour sauvegarder la démocratie, la liberté, la civilisation. Croyaient-ils que le monde irait mieux en nous renversant ? Qu'après nous aurait lieu le dégel ?
— Le peuple souffrait monsieur, l'interrompis-je alors, je l'ai vu de mes yeux...
— Nous souffrons tous dans ce genre de situation, Barkley. Mais je pensais qu'en survivant à l'Holocauste nucléaire, les Nouveaux Américains auraient perdu leurs habitudes de constants-insatisfaits, de purs produits du capitalisme, à toujours en vouloir plus sans jamais voir leurs avantages. Je m'étais refusé à refaire les erreurs des précédentes nations, je voulais protéger le peuple de lui-même, et de sa constante propension à détruire ce que nous construisons. Mais il n'a rien voulu savoir. Alors j'accepte ma défaite. Je me retire.
— Mais où ? Il n'y a rien d'autre que nous.
— Qui vous fait croire cela ? Je croyais les membres de mon administration assez instruits pour ne pas sombrer dans leur propre propagande.
— Vous voulez dire qu'il existe d'autres pays encore debout, qu'il y a encore de l'espoir ? Dis-je d'une voix nouvelle, emmenez-moi, je vous en prie.
— Désolé de vous décevoir, Barkley... Sachez que vous resterez à jamais dans la mémoire collective comme l'un des derniers sénateurs américains. Je suis désolé.
J'eus à peine le temps de comprendre quoi que ce soit que l'un des hommes présents à côté du président s'approcha de moi et qu'un coup de feu éclaira le ciel noir. Mon ventre me brûlait. Je tombai à genoux dans la neige qui se couvrait de rouge peu à peu alors que Jarry et ses gardes du corps étaient déjà remontés dans leur voiture et celle-ci s'éloignait. Le blizzard continuait à tomber et m'ensevelissait peu à peu. Je me sentais partir de plus en plus alors que les premières lueurs du jour se levaient sur New Washington. Tous mes espoirs s'étaient à présent envolés, j'allais mourir ici, dans la neige. Je ne savais pas qui, du froid ou de ma blessure m'emporterait le premier. Il ne me restait plus qu'une chose à faire :rêver, retourner dans mon monde intérieur, à jamais, car c'était bien la seule chose que je savais faire.
J'avais si froid.
Fin
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