ne risque pas de les atteindre
IVAN TSAREVITCH, LE LOUP BLEU & L'OISELLE DE FEU
SKËNDER
Prix (3)
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[Midipolia, 2244 – Mystic, territoire stidda]
Un nom est un gage.
Des mini guêpes robotisées chassent impitoyablement les drones indiscrets dans l’espace aérien environnant. Plein à craquer, le carré réservé aux jeunes stiddari surplombe le toit-terrasse nivelé. Par-dessus la balustrade en maille de nano-néon, les bracelets en métaux rares choquent sans retenue contre ceux, en polymembrane rose vif, des serveuses en bunnies. Les banquettes en demi-lune, d’un violet agressif, voient les jeunes gens se serrer autour de tables débordant de sceaux de glace et de bouteilles XXL sous les bâches qui assurent un compromis thermique confortable - entre fraicheur nocturne de demi-saison et chaleur humaine condensée.
Ce sont les filles, petites amies ou sœurs, qui font le premier pas envers les Ozzello ostracisés, les derniers à rejoindre leur bande. Les femmes de clan n’oublient rien, leur mémoire est parfois bien plus terrible que celles de leurs confrères mais face aux Russes invités pour le Run sur leur territoire, les rivalités internes s’écrasent en bloc.
En bon prince bien éduqué, l’héritier Bianchi déconne allégrement avec toute sa petite cour et accepte même, sur ses genoux, la polichinelle de réconciliation qu’on lui offre; une authentique fille au charme méditerranéen aussi discret que redoutable. Skënder bade sur cette Munya avec un brin de honte – même s’il sait que Giovanni lui refourguerait volontiers. Les Ozzello ont dû l’arrosée pour la nuit, pas sûr qu’elle le lâche, malgré les indélicatesses savantes de sa cible.
La sublime Munya coiffe au poteau les habituées du Mystic qui savent repérer ce bombers trop grand. À croire que Narciso et son éternel bleu de Chine commence à déteindre sur son apprenti. Le dos satiné de bleu électrique étoffe la frêle silhouette du garçon efféminé, avec des poches pour des lames en céramiques en veux-tu en voilà. « Complices Envoleurs », tiré d’une strophe de Verrelaine Vingt-Deux, en lettres argentés sur les épaules couronne une valkyrie en armure somptueuses brodée.
Verrouillé pour la soirée, l’N-GE offre la première tournée et trinque à l’honneur des récents promus. Skënder lorgne du côté de Marco, le dernier affilié Ozzello. Celui-ci hausse les épaules, visiblement soulagé de cette amnistie. L’embrouille du (W)Hore s’oublie, engluée dans l’attitude borgne des coups bas routiniers comme des échanges de politesses caustiques qu’échangent Giovanni et Vitorre entre deux verres.
Skënder se faufile près de Litzy. Sa réserve trahit de la nervosité ; la Chasseuse se contente d’aligner les shooters vides face à Marco et Eligio, déjà ivres. Elle réajuste constamment ses protections auditives. Des arcs de plastique souple, complétés de bouchons, cerclent le cartilage de ces oreilles. Les effets d’éclairage font particulièrement ressortir par transparence les nervures sur ses pavillons. Cette biotech directement reliée au cortex confère aux N-GEune impossible acuité spatiale et une sensibilité accrue aux champs électromagnétiques. Une mélasse d’ondes cauchemardesques que cette musique saturée et les brouilleurs.
Cartouches de mauve et tournées s’enchainent. Litzy prend un soin scrupuleux à ne jamais s’adresser à son jumeau, trop occupé à câliner sa poupée.
Le quatrième plateau de cocktails vader s’annonce douloureusement flou. Le fils de l’Albanais sent déjà qu’il va perdre à ce petit jeu-là, mais refuse obstinément de lâcher tant qu’il y voit, même double. Marco se couche en frappant la table ; accepte un patch de neuro-stim qu’il colle dans la pliure de son poignet. Eligio, son comparse, bataille à jeu égale avec l’N-GE et leur redoutable résistance aux toxiques. T’u t’es fait greffer un filtre au foie ou quoi ? Plus âgé, déjà adoubé et surtout, surtout tanké dans son t-shirt moulant, les électrodes et quelques injections de Supra ont accompli un miracle. Ce branleur patenté cultive la mauvaise idée de faire ostensiblement du gringue à la Fée sauvage au cheveux bicolores. Le prodige pousse au-delà du bon sens, elle ne le pas rembarre aussi sec.
Une approche que Giovanni, trop observateur même entre deux baisers baveux, ne loupe pas. Skënder flaire l’embrouille et se consterne de voir Litzy tomber dedans. Quand l’adolescente se lève pour une expédition en troupeau de femelles aux toilettes, il va pour l’alpaguer. Un regard atrocement l’intercepte.
« Chi se ne frega ! » signe le petit prince en collant un second patch dans son cou, libéré de sa sangsue attitrée. Et le voici parti saluer quelques connaissances autant pour assurer la promenade diplomatique envers la Bratva avant la début du Run.
Les filles reviennent pile au moment où le grésillement des lumières annonce le clou de la soirée. Des bunnies affriolantes débarrassent à toute vitesse ce qui pourrait obstruer les projections au centre des tables, leurs fesses sciées par des strings trop serrés accrochent des pupilles avides. Skënder n’est pas spécialement chaud pour tenir la chandelle ni même assister à une énième course d’aéro truquée, aussi il ne refuserait pas un rapprochement crapuleux contre un lavabo, avec l’une d’entre elles pour tuer le temps. Son regard part en chasse tandis qu’on échange les derniers pronostics sur la course à venir, à propos du nouveau poulain du Baron. Les ragots rapportent un palmarès à Shangaï.
— Y’en a qui pensent qu’il va passer sous la barre des trente minutes.
— Impossible.
Chacun y va de son commentaire. Un nouveau, ça titille. Depuis quand le Baron aligne des pilotes valables pour ce genre de course de première catégorie ? Parler donne soif ; les lapines s’agitent de plus belle et Skënder hésite entre deux petits pompons brillants tressautant merveilleusement sur une cambrure de reins.
Personne n’a jamais bouclé le Run sous ce chrono. Pour cela, il faudrait être suffisamment dingue pour couper les suretés de raccrochage magnétiques sur son propre engin avec une vitesse trop importante pour se rattraper après. Même en manuel. Jouer contre les lois de la physiques est un pur suicide.
Litzy et l’assurance d’un cinquième plateau de shooter plus tard :
— Il va le faire.
— T’y connais rien, lance Vitorre.
Du fond de la banquette, son regard vague trahit une étrange inquiétude. Elle lui sourit. De ce sourire canaille qui semble lire l’avenir.
— Il va couper les suretés. Parce qu’il n’a rien à perdre.
— T’en sais rien. Et quand bien même, y’a pas de prime pour les morts.
Eligio, à la rescousse de son futur boss.
Les basses sonores se tarissent. Les tables déploient des hologrammes de la retransmission pirate. Des images saccadent en moyenne résolution malgré les brouillages, affichent un panorama sous plusieurs angles du Cercle. Les tronçons éteints, les rails en surtension émettent des surcharges bleues obscures, et ceux dont la lumière reste encore vive. L’anneau-tunnel routier crépite, clignote pendant que les hackers stiddari déploient leurs bots pour shunter les sécurités fédérales. Un festival d’éclairs intermittent que cette cyberbataille de programmeurs. L’image se stabilise sur un injecteur, la ligne de départ.
Quatre sportives s’alignent sur différents plans, avec leurs pilotes sur des passerelles différentes, aux amarres de recharge. La dernière Lamborghini Huracán flambante et rouge, flanquée du favori, sponsorisé Stidda sans en dire le nom ; deux Corvettes Mantis EV, l’une bleue, l’autre jaune, respectivement aux frangins Rain et Thunder, concurrents indépendants qui ravissent les bookmakers et les donzelles ; enfin, une Grey Fasty R18 gris-fauve inconnue au bataillon dans le dernier quart arrache un cri du stupéfaction sincère à l’assemblé, russe comme stidda.
— Bordel de mer…
La fugace apparition propage le malaise. Du coin de l’œil, ça s’agite discrètement. Des hommes de la Bratva s’éclipsent.
Skënder n’écoute plus. Il n’a pas eu le temps de graver la trogne du gars, mais n’a rien loupé de cette gueule de loup encrée sur ce cou bien large : le Siniy Volk signature d’une redoutable bande moscovite qui sévit jusqu’en Chine. Sûr qu’on a pas envie d’afficher ça devant toute la nuit midipolienne. La Stidda pourrait, légitimement, mal interpréter cette alliance avec la Bratva locale.
Giovanni a tiqué lui aussi. Il dégage subtilement son arapède à nichons en lui confiant son bracelet pour qu’elle aille lui rapporter quelque chose avant le top départ. L’albinos signe à son ami, si preste qu’il faut un temps de traitement et une seconde tentative pour assimiler le message :
« Que fout un Loup Bleu ici ? »
Foutre la merde, anticipe Skënder.
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