I'm a gangster too

5 minutes de lecture

IVAN TSAREVITCH, LE LOUP BLEU & L'OISELLE DE FEU

ROZALYN

Tango (2)

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[Midipolia, 2244] - suite

Au bout de ce qui semble être des heures d’un spectacle d’ombres chinoises et danses d’aiguilles, mais n’en est qu’un tour à l’horloge murale, Rozalyn préfère s’extraire de ce waï étouffant aux allures de maison hallucinée meublée de pantins désarticulés.

L’atmosphère au dehors, lourde et graillonneuse, colle à son palais, suinte, visqueuse, dans sa trachée pour tomber au fond de ses bronches – presque un bonheur tandis que le soleil s’échappe, dans la fin d’après-midi, derrière les tours des plateformes supérieures. Elle se hâte au-delà de la ruelle, savoure cette cadence qui n’accélère qu’à peine son rythme cardiaque. L’avance qu’a pu lui mettre Fran dans leur échappée champêtre la encore vexe quelque peu. Elle rejoint l’artère principale du quartier, en quête d’un nouvel auxiliaire chez un vendeur de seconde main, idéalement un brin loucheur.

Cette course à l’air libre lui remet les idées en place. La liste des personnes au parfum concernant lae biohacker est suffisamment réduite pour ne faire aucun suspens sur l’identité du traître – qui brille par son absence en ces foireuses circonstances. Aussi, Fran, tous autant qu’iels puissent être dans cette putain de tête ravagée, n’est que partiellement coopératif et sur voltage alternatif. Autre point ; Narciso n’a pas semblé le moins du monde surpris de la glissade à la Mèche quand ça a commencé à défourailler. Rozalyn de déduire qu’il savait sans juger bon de la mettre au courant. Tu as voulu te le coincer tout seul. Sans imaginer la moindre seconde qu’il embaucherait du renfort chez la concurrence. Tu as commis une erreur d’appréciation monumentale en supposant que l’Albanais ne passerait pas à l’action avec son propre gamin dans les pattes. Et tu as embrigadé l’hériter là-dedans…

Le pire, dans tout ça, c’est que cela ne la surprend qu’à moitié. Rozalyn n’ose imaginer la réaction de Maddalena ; qui ne pouvait décemment pas avaliser cette manœuvre. La perspective de devoir lui rendre des comptes l’effraie.

Son nouvel aux’ poignet, et l’adrénaline retombée, elle constate que l’Interlope est étrangement dépeuplé malgré les nombreux bourdonnement des pâles d’hélicoptères au-dessus de la zone. Ne se trainent que des hybrides aux rires gras et des travailleurs au trois-huit reconnaissables à leur patch de stimulant sur la nuque. Finissant un paramétrage sommaire, une colonne d’holoflashs l’alpague au travers des filtres court-circuités de son masque. Saloperie de worn ! Les vignettes d’informations en continue tourbillonnent en paillettes dingues sur sa rétine, au point de lui faire perdre l’équilibre.

Midipolia sous tension ! Règlement de comptes aux Docks Sud. Renforcement de la sécurité près des Néréides. Échanges de tirs sur près du mystique Mystic ! Barrage sur le Cercle au niveau de l’injecteur 78. Ligne Sud-3 de l’aérométro saturée à la suite d’une dérivation du secteur après une rixe ayant fait un mort. Escalade de la violence. Lamari décrète le couvre-feu au niveau Ouest-65 jusqu’à demain 12h. Confrontation violente dans les quartiers de la Mèche. Déploiement des Brigades d’Intervention, l’Est n’est pas épargné. Suivez la bataille entre la Stidda et la Bratva minute par minute avec El-FauϽon, en exclusivité pour nos abonnées Primoprime sur le Canal de Mid-Inter.

Elle arrache sa visière, inspire un grand coup avant de piquer un sprint.

D’une pâleur exsangue, Fran est avachi près de Narciso, la tête étonnamment posée sur son épaule. Un bandage à chaque coude accuse les ponctions sanguines. Formol, toujours emballée dans sa blouse et sa cagoule éclaboussées de brun, cherche à déplacer un Skënder inconscient pour faire un peu de place, avec un succès très relatif. Mal à l’aise face à l’entrée fracassante de Rozalyn, la biomécano souffle que sa cheffe termine de refermer avant de plonger Giovanni en réa-cuve et qu’elle les débriefera à ce moment-là ; puis disparaît dans un froissement de plastique jaunâtre. Le soulagement de Narciso se lit sur les lignes de son visage, qui se décontracte.

Sur le bord de l’explosion, et préférant éviter un mot malheureux, elle déploie la projection des gros titres de Mid-Inter. À nouveau, des rides barrent le front diabolique. Il saute sur ses pieds.

— Tu m’as encore bien pris pour con, enfoirasse.

Iel sourit dans le vague, les jambes étendues face à ellui. Une réapparition la biomécano les informe de l’évolution du patient. Non, ce n’est pas encore terminé, encore environ deux heures. Oui, il s’en remettra. Non, impossible de le déplacer pour les dix heures à venir. Instantanément, le Diable recouvre des allures commandantes et, saisissant d’autorité l’aux’ au poignent de Roz, pianote des ID de liaison que lui seul connait. Avec ce sentiment que, parfois, elle pourrait disparaître sans qu’il ne le remarque, elle obtempère. Lointaine, elle suit les lignes succinctes qu’il adresse au Requin. Comprenant la gravité de la situation, l’assistante s’éclipse vers la réserve, non sans s’arracher à la contemplation de son prophète avec une réserve manifeste.

Ermes met moins d’une vingtaine de minutes pour les retrouver au shop. Deux hommes de Baleine, aux armes mal camouflées sous leur blouson, l’accompagnent. Le Requin, fringuant trentenaire aux nerfs étirés, inspecte l’endroit avec une grimace aux dents pointues, s’arrête sur l’N-GE biohacker avec une surprise brouillée d’incompréhension puis revient sur le Diable. Rozalyn éprouve un sincère pincement au cœur, malgré leurs différents, à le voir compter les présents, et tirer les conclusions qui s’imposent.

— C’est une très mauvaise danse, aujourd’hui, crache le protégé de Baleine.

Ses deux ombres hochent la tête. L’un d’eux ressort pour se poster non loin, l’autre se flanque à la porte et dézippe légèrement sa veste. Ainsi, le plan est convenu sans un mot. Elle charge Skënder, hagard, à l’épaule comme un vulgaire poids mort non sans un regard appréciateur d’Ermes. Le gamin n’est pas bien lourd. Si fragile, si faible… Et pourtant si précieux. Sur le départ, Narciso a une brève hésitation qu’il tranche vif.

— À mon retour, je te conseille d’être exactement la même place, Frank.

Iel ricane encore, les bras ballants, ses paumes grandes ouvertes vers le ciel.

— Où veux-tu que j’aille ? Ne suis-je donc point au paradis entouré de toutes les vierges promises ?

Ermes hausse un sourcil, mais comme Rozalyn, il est là pour obéir, pas pour poser des questions. Déjà, la biomécano apporte à l’N-GE un encas avec une canette de jus de fruits sortis d’on ne saurait quel placard dans ce garage médical au bordel savamment organisé.

Aucun de prend la peine de commenter le trait d’esprit ou de mettre en garde Ermes sur le fait que lui et ses deux renforts ne pourront jamais ne serait-ce qu’empêcher ce spécimen de s’empiffrer de bonbons ; les voilà piétons fébriles plongeant dans le dédale midipolien jusqu’au point de chute prévu.

— Comment es-tu sûr qu’iel ne bougeras pas ?

— Parce que Frank est suffisamment intelligent pour savoir où doit s’arrêter son petit cinéma s’il ne veut pas que Maddalena lui arrache ce qu’elle a bien voulu lui laisser la dernière fois.

Rozalyn se ragaillardit à la perspective d’affronter la matrone et relègue la question au fond de ses priorités. Chacun ses problèmes.

La Gespenst est déjà amarrée à un quai, en bordure du quartier-plateforme. Le vieux à la casquette soulève un sourcil broussailleux. Narciso l’aide à jeter Skënder dans le coffre arrière, sans faire peu cas des rares passants sélectivement aveugles. Rozalyn prend place à l’arrière aussi tendue qu’exténuée – elle n’a que dormi par intermittence depuis leur départ l’avant-veille de Corse. Une fois l’aéro lancée sur le Cercle, Zulfiqar lâche un brin crispé :

— Je suppose que vous voulez vous expliquer en face.

Ni elle ni le Diable ne réponde.

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