4 : L'escalier
Tous
les matins
de la semaine,
je descendais par
l'escalier A, à droite
de mon appartement.
Au même moment, mon
voisin du dessus montait chez
lui par l'escalier B. Il devait travailler
de nuit. Les escaliers à double hélice permettaient
de nous saluer à la dérobée, dissimulé l'un l'autre par le pilier central.
Notre manège dura des années, jusqu'au jour où je décidai de changer mes habitudes.
Sans prévenir, je descendis l'escalier B, en vue de serrer la main dudit bonhomme.
Est-ce dû au hasard ou à l’inattention non programmée, lui de son côté
avait changé sa pratique. Il avait emprunté l'escalier A.
Nous nous interpellâmes, moitié dans
la pénombre, moitié dans le
blafard du
néon.
Arrivés
à proximité l'un
de l'autre nous nous
dévisageâmes. D'allure identique,
il possèdait les mêmes traits que ceux que
je dévisageais chaque matin dans mon miroir. Autre
chose étonnante, ses habits ressemblaient en tous points aux miens :
veste et bleu de travail râpés, au-dessous desquels je portai chemise à carreaux.
Son attitude m'inquiéta lorsque, pour me saluer, il pinça le devant de sa
casquette sans la soulever. Nous eûmes le même geste. Se pourrait-il
que sa besace contienne un repas identique ? Et qui sait
s'il ne travaillait pas la nuit dans la même
usine, dans le même atelier, sur la
même machine que
moi ?
Dans une autre vie, nous aurions pu être amis. Dans une autre vie.
D'un air indifférent, nous nous sommes éloignés,
lui montant se reposer, moi
descendant vers ma
routine.
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