14 : L'angoisse d'un souhait
Vint le jour où je m'engageai librement par le seul passage disponible en direction d'un ailleurs qui aurait pu être un monde meilleur. Je me souviens avoir été guidé vers le conduit étroit, poussé en un sens, comprimé en un autre. Le revêtement du goulot d'étranglement se caractérisait par un tapissage en forme d'écaille de poisson, rendant tout retour en arrière impossible. Expulsé de l'autre côté comme une déjection putride, je reçus un choc.
Choc visuel. La seule source lumineuse provenait d'une foultitude d'écrans inégalement répartis contre le mur du fond. L'ombre portée alentour ne permettait pas de délimiter la grotte dans sa largeur, sa hauteur, sa longueur. Au fur et à mesure de ma progression, je découvrais des chaises occupées par des personnes silencieuses. Quel que soit l'emplacement dans cet espace clos, les sièges positionnés face aux écrans étaient rivés au sol. Chose curieuse, les spectateurs ne bougeaient pas. Un lien solide bloquait leurs chevilles. La même corde passant dans leur dos enserrait le cou rendant tout mouvement de tête impossible. Immobilisés, face livide, nul n'élevait la voix, nul ne protestait. Leurs yeux absorbaient les images projetées. Je naviguais entre eux les deux mains en avant tâtant le décor.
Choc olfactif. L'air conditionné propulsé à grand renfort de ventilateurs monumentaux ne parvenait pas à supprimer l'humidité ambiante. Moult champignons multicellulaires au bord de la liquéfaction végétaient parmi les mousses imbibées d'une viscosité malsaine.
Un siège libéré me permit de me reposer enfin. Indolence. Somnolence. Il m'arriva une fois de me souvenir de mon entrée dans la caverne, une autre de ressentir la caresse d'un rayon de soleil. Fut-ce lui qui me réveilla ? Non point ! Je me retrouvai les pieds liés. M’évadais-je à nouveau en rêve, l'instant suivant me découvrit dans l'inconfort de mon cou enchâssé lui aussi par l'identique corde rigide. Les écrans diffusaient en continu de drôles d'images aphones. Je bénéficiais de l'immuable spectacle projeté aux assidus. J'étais un parmi eux.
Devenu partie amorphe d'un ensemble mou, la métamorphose du moi en nous me submergea. Plus question de ressentir des besoins, d'envisager des désirs, d’émettre des souhaits. Les mots disparurent de notre pensée, comme effacés. Notre rôle se bornait à ingurgiter le visible disponible. Nos esprits se façonnèrent en une espèce de réalité convenue manipulant le nous inactif. Aussi informe et indolent qu'une pâte à modeler douée d'apathie, nous devenions un immense on.
***
– Pourquoi m'as-tu sorti de la grotte ?
– Admire la lumière du soleil, tu comprendras.
– C'est éblouissant. Pourquoi sens-je comme une douce chaleur ?
– Hume l'air, tu vas t'habituer, crois-moi ?
– Quelle est donc cette chose extraordinaire au-dessus de nos têtes ?
– Le ciel dans son immensité, bleue le jour, noire la nuit.
– C'est grandiose.
– Ouvre les yeux et apprécie.
– Et cette chose agréable sous mes pieds nus, quelle est-elle ?
– La nature, rien d'autre que la nature.
– Mais où sont les vraies images ?
– Devant tes yeux. Ouvre ton esprit. Pour toi, tout va changer. Mais que fais-tu ?
– Je retourne dans la caverne.
– Pourquoi ? Je ne te comprends pas, ce que tu découvres ne te satisfait pas ?
– Non. J'ai besoin de partager ce qu'est une autre vérité.
– Tu reviendras ?
– Avec eux, oui.
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