21 : Gober l’œuf de coucou
Monsieur Watermann s'apprêtait à emprunter le chemin de Kerantrou, celui-là même où, gamin, je ramassais des mûres. Mais à la Toussaint, point de fruits, ils avaient fui ; point de jeunesse non plus, j'en étais exclu ; tout juste un peu moins de vie dans ce village où les murmures hantaient les maisons vides.
Seul monsieur Watermann parcourait mon chemin d'enfance, minuscule pot de chrysanthèmes dans le prolongement de sa main gantée porté à la manière d'une arme à fort calibre.
Du haut de mon perchoir, je calais les lauzes de l'ancienne chapelle.
L'étranger gravissait le raidillon qui menait au cimetière. En chemin, il rencontra l'homme Arc-En-Ciel, celui qui respirait le bon air tout en diffusant dans son sillage sa lumière multicolore. Les deux êtres – que tout opposait – se croisèrent, s’interpellèrent à tour de rôle par un bonjour de circonstance, se gardant bien de ralentir l'allure qui était la leur.
À l'image d'une gargouille sur son appendice granitique, j'observais alentour tout en crochetant les dernières dalles de schiste.
Derrière la grille du cimetière, la femme bonhomme remplissait son arrosoir. L'eau coulait aussi froide que l'atmosphère du lieu. Monsieur Watermann la dépassa. Entre eux, pas de mots échangés, pas de regards non plus, hormis un léger coup de tête permettant d'évaluer la distance à respecter pour éviter le moindre contact.
Parvenu au sommet du clocheton, je nettoyais la girouette. J'invitai la flèche à se tourner vers le nord. Le vent contraire la désorienta. Le coq grinça. Des branches d'un arbre, j'entendis le chant du coucou.
— Tu sonnes faux. Un jour, je goberai l'un de tes œufs, coquin !
Nouvelle bourrasque forte et déterminée. J'en pris ombrage, lâchai la martelette avant de glisser. Sans ligne de vie, je risquais d’atterrir plus bas que terre. C'est ce qui arriva. Monsieur Watermann m'ouvrit ses bras avant de m'abandonner au fond d'un trou qui ne m'était pas destiné.
Plus tard, il me déposa son offrande fleurie sur la tête, puis s'évapora. La femme bonhomme vida son arrosoir avant de disparaître elle aussi.
On dit que le ravanastron imite le chant du coucou à la perfection.
C'est ce qu'on dit. Pour ma part, je n'ai jamais entendu couiner un ravanastron, avec ou sans archet.
***
— Qui était-ce ? demanda l'enfant en savourant les baies mûres.
La femme en deuil ne put répondre sans verser une larme.
— C'était ton père.
Annotations