43 : Le froid retour de la vengeance répressive, limite revancharde, résolument punitive.
Karl a l'âge des conquêtes adolescentes. Il collectionne ses élans d'amour comme autant d'essais joviaux sans lendemain à inscrire sur son tableau de chasse. Ce germain grand, beau, sec car non bedonnant, chauve du front, velu des mains, pianote, effeuille, butine ses amourettes, timides ou effrontées néanmoins temporaires.
Sa méconnaissance du français l'oblige à singer ses désirs et besoins par d'étranges logorrhées interprétées grâce au truchement d'une gestuelle déconcertante. Enhardi par l'intérêt suscité auprès de la gent féminine, il se prête aux jeux des répliques muettes. Deux ou trois amies volontaires lui prodiguent des cours particuliers assurant ainsi quelques menus bredouillages basiques. Limité à un vocabulaire succinct, Karl quémande une traduction simultanée en langage des signes. Karl lit dans les yeux, apprend avec les mains, décrypte à l'aide des doigts, traduit au passage une émotion reconnue, découvre sans appréhension un trait d'union gestuel.
Les élans du corps bavard du jeune homme séduisirent la prude Irma. Elle devint son interprète préférée. Irma roulait des airs de câlins, articulait sa vélocité proverbiale, conjuguait l'être au conditionnel en déclinant le savoir au participe passé ou à l'imparfait du subjonctif. À seize ans Irma décida d'ouvrir enfin le tome deux de sa vie de jeune fille. Elle choisit Karl comme partenaire de lecture approfondie pour tenter de coucher sur le papier leurs délires exotiques. L'écriture à quatre mains fit merveille cette après-midi-là. Ils connurent les joies du partage, les tentatives hésitantes au bord des délices. Les préliminaires engagés, ils parvinrent à ébouriffer les convenances à tel point qu'aucune barrière ne parvint à limiter leur version d'effet. Le verbe enjoué limita la traduction des difficultés. Elle, se positionnait comme meneuse de revue, dompteuse de fauve ; lui, apprenti maître queue, imaginait s'animer à l'étroit dans une demeure humide où quelques douceurs mémorables seraient concoctées avec l'improvisation des débutants.
Ce ne fut pas sans heurts ni dérapages. D'un verset l'autre, le récit s'étoffa d'adjectifs, de superlatifs et de contemplatifs ; ils passèrent au comparatif. Karl inscrivit son désir égoïste comme une tâche fulgurante interrompant la partition inachevée. Irma dut corriger l'irrévérencieux élève en l'encouragent, le flattant, le redressant quitte à le flageller à l'aide d'un cortège de cravaches cinglant les mots précis, désireuse d' obtenir de lui une version parfaite. Au chapitre des liaisons il y eut les tentatives malmenées, car deux se conjugue au pluriel et non au singulier. Prenant son rôle à bras le corps, Irma tenta les exercices de révision des connaissances. Appliqué autant que volontaire Karl s'attela sans complexe à travailler le sujet mis à l'étude. Au pied de la lettre, au fil du rasoir, peu lui chaut, l'élève caressait le doux espoir d'épingler sa conquête telle une papillonne à étiqueter méthodiquement.
Aiguillonée par l'obstination de cet énergumène aux obsessions quelque peu cavalières, Irma ne perdit pas la boule. Elle s'enquit d'abreuver l'étalon d'un élixir pas très orthodoxe, à savoir, la préparation alambiquée d'une voisine de palier réputée comme jeteuse de sort et autres faridondaines peu ragoûtantes. Le sirop calma le chaud lapin tant et si bien qu'il en perdit son latin, pardon, son germain. Ainsi tourmenté, Karl ravala sa salive et quitta le domicile d'Irma la queue pendante, la langue en feu.
Vives ou lentes disparaissent les passions éclairs égarées dans la brume. Au point d'impact brûlent sérieux les chairs vives, atteignant profond les sens des versions imparfaites.
Ça c'est passé comme ça pour Karl
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