Écrire des nouvelles, c'est revêtir sa cape d'usurpateur d'identité, de falsificateur d'aventures, sous l'apparence d'artificieur maîtrisant l'intrigue et connaissant la fin de sa nouvelle.

Écrire c'est mieux encore que le dire ou le faire, l'être ou l'avoir ; c'est formuler le fil d'une pensée. Même si au fond de moi, je reste persuadé que les paroles gravent les esprits au contraire de ceux qui pensent qu'elles s'envolent, les écrits restent lettres mortes si personne ne les lit. Susciter l'intérêt du lecteur, de la lectrice en appliquant quelques formules magiques relève de la tromperie et pourtant quel beau plaisir que celui de poursuivre page après page les personnages qui animent les phrases d'un bouquin scotché à tes mains, rivés sous tes yeux.

Écrire provoque l'exercice du cerveau, sollicite la volonté de construire, le désir de séduire, provoque l'orgasme onirique d'assouvir une peine, d'exalter un bonheur, d'élaborer une intrigue.

Écrire c'est dominer également des mots qui, alignés les uns derrière les autres composent le train d'une pensée vagabonde. Heureux celui ou celle qui saisit au vol le convoi et emprunte la ligne tracée à son intention.

Écrire c'est dominer, maîtriser, organiser, effacer, recommencer. Les personnages sont pieds et mains liés à ton stylo.

Écrire, c'est faire preuve d'humilité face à l'ordonnancement des phrases, la dictature de la grammaire et de « l'ortografe » (enterrons les h ) qui parfois admettent quelques détournements originaux. Les paysages expriment tes coups de crayon sur le papier, le temps et l'espace sont comprimés ou distendus, selon l'action, le lieu, les circonstances.

Écrire c'est mentir, c'est dénuder la vérité, c'est transcrire l'imagination, c'est inventer, embellir, noircir, chevaucher l'humeur du vent, apaiser la féérie d'une mer, réveiller le démon en sa grotte.

Écrire relève du parjure, implique le serment d'une vérité sacrée.
Écrire provoque la folie, l'instabilité, confine l'artisan dans une bulle hors du temps, le rendant asociable au moins durant le temps que dure sa composition. Il lui faut endosser le costume du justicier et celui du bandit ou du violeur, de l'amoureux ou de la duchesse Anne, la salopette d'un réparateur de voiture ou la blouse blanche d'une infirmière, se gaver du doux murmure du ruisseau et du vacarme de la ville, accompagner la vieille femme acariâtre agonisante et allaiter le nourrisson affamé.

Écrire procure la joie, la tristesse, l'amour, la dépression, l'excitation, la désillusion, la force, la justesse.
Écrire nuit à la bonne santé.
Écrire ruine ton portefeuille.
Écrire permet de chanter, danser, communier, répudier, embrasser, aimer, haïr.
Écrire t'autorise à devenir noir, lépreux, chevalier, paysan, professeur, intelligent, benêt, fourmi, crocodile, fleur, roche et torrent.

Écrire t'apprend l'humilité, façonne la pâte molle dont tu es composé.
Écrire t'autorise à boire, fumer, te droguer, suivre un régime, manger du lard, jeûner, pisser, roter, siroter de bons alcools, engloutir de mauvais vins, baver.

Qu'une histoire n'ait pas de suite logique, une fin déboussolante et c'est la compréhension du lecteur qui s'embrouille. Soit, il poursuit l'introspection du monde de l'écrivain, abandonne tout esprit de logique, reste sous l'emprise de l'auteur et se laisse guider ou perdre au fil des mots ; soit, il abandonne avec la peur au ventre de ne rien comprendre et se débarrasse de son costume emprunté. Quelle que soit sa décision, il n'aura pas tort de la prendre. Pourtant, dans un petit coin de sa caboche malmenée, subsistera le regret de n'avoir pas suivi cette étrange affaire jusqu'au bout.

Cette somme de tout et de rien ravage le petit être que tu croyais connaître.

Tu ne ressors pas indemne d'une année de Bradbury.

Et si c'est le cas, le travers est pris et le désir de recommencer l'emportera.

Ça s'est passé comme ça, dans ce bateau en 2019, avec le père Bradbury...