Immemoriae (scène 4)
Une fillette gracile au visage constellé de taches de rousseur apparut dans l’encadrement de la porte. Vêtue d’une simple tunique azur, elle tenait dans ses mains un panier en rotin tressé d’où émanait une douce odeur de pain chaud. Ses petits yeux noisette coururent timidement sur le marchand avant de se laisser subjuguer par le visage de Nemu.
Contrarié par cette intrusion, le marchand soupira bruyamment. La jeune fille tressaillit. « Oh ! » s’exclama-t-elle, comme si elle venait soudainement de se rappeler le but de sa présence :
— Mâlka m’a demandé de vous aider, déclara-t-elle fièrement.
— Nous n’avons besoin de rien, asséna Bailram tout en reportant son regard sur Nemu pour avoir la suite de sa déclaration.
— Je peux rester ? demanda timidement la fillette.
— Rester ? Ici ? Allons, tu as sans doute autre chose à faire, va donc aider tes parents.
La fillette secoua la tête.
— Papa et Maman ne sont pas venus avec moi hier soir. Mâlka a dit qu’ils sont restés pour protéger le village du monstre. Elle a dit qu’ils nous avaient sauvés et qu’ils sont avec les étoiles maintenant.
— Je… je vois. C’est… regrettable.
— J’ai apporté du pain et du fromage. Et un peu de miel aussi, minauda-t-elle en montrant son petit panier.
Bailram remua nerveusement sur son tabouret.
— Bien, reste ici si tu le souhaites, mais ne fais pas de bruit d’accord ?
Un large sourire illumina le visage de la jeune fille. Avec l’assurance des enfants de son âge, elle referma la porte derrière elle et entra dans la loge troglodytique. Soigneusement, elle déposa son panier sur la table en pierre brune et se hissa sur la pointe des pieds pour chiper un morceau de pain. Elle s’assit ensuite sur un tabouret, proche de Bailram, et le dévisagea à son tour.
— C’est la première fois que je vois quelqu’un à la peau sombre ! Oh, c’est toi qui vas chasser le monstre ? demanda-t-elle spontanément tout en oubliant la directive de Bailram.
Le marchand enrageait. Il détestait les enfants. Contrairement aux adultes, ils étaient imprévisibles et n’obéissaient à aucune logique, si ce n’étaient leurs désirs à très court terme. Les contrôler demandait une dextérité qu’il ne possédait pas.
— Oui, lâcha-t-il agacé.
Il se retourna vers Nemu.
— De quoi sommes-nous en danger ?
La jeune femme n’avait pas bougé. Elle se tenait droite et dévisageait d’un air suspicieux la fillette qui se balançait joyeusement sur le tabouret. Face au regard insistant du marchand, elle reprit :
— Le créature, dangereux, lâcha-t-elle distraitement.
— Oui oui, mais encore ?
Bailram avait du mal à conserver son calme. Il ne parvenait pas à comprendre ce que sa garde du corps essayait de lui dire. Quelle était la menace ? À quoi rimaient toutes ces simagrées ? Essayait-elle simplement de le dissuader d’attaquer la créature pour ne pas avoir à utiliser ses dons ?
— Pourquoi tu as des traces bleues sur ton visage ? intervint la fillette.
— Mais vas-tu te taire enfin ! Nous devons parler entre adultes, sérieusement ! Si tu continues à…
— C’est parce que je suis éveillée, le coupa Nemu.
Le marchand dévisagea son associée, ahuri. Depuis toutes ces années, elle avait gardé le secret et voilà qu’elle se mettait à en parler ouvertement devant une simple gamine ? Il s’apprêtait à lui faire la réflexion mais Nemu vint s’asseoir en face de lui. Elle inspira profondément et Bailram perçut dans son regard toutes les nuances de ses émotions qui se frayaient un chemin vers la surface.
— J’ai eu les marques il y a longtemps, aux Haldryses. Quand je n’avais pas encore échoué comme katuwiro.
La frustration du marchand se dissipa en un instant, balayée par le calme solennel de la voix de Nemu qui concédait enfin, après toutes ces années, à lui raconter son passé.
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