Pièce courte
A cour une morgue. Une thanatopractrice (ou embaumeuse) est en train de finir le maquillage du clown mort sur la table d’embaumement. Le clown a une énorme cicatrice sur le visage et le maquillage ressemble à celui d'un clown de Bernard Buffet. A côté d’elle ses outils et un dictaphone.
A jardin un autre espace dans l’ombre.
Embaumeuse
(Allume le dictaphone) Fin de l’embaumement de Mr Ravi point. (Coupe le dictaphone) Drôle de nom pour un clown comme celui-là. (Relance le dictaphone) Ai suivi les directives du directeur du cirque point. N’ai pas réussi à cacher la balafre point. (Coupe le dictaphone) Pourquoi il te voulait avec un visage si triste, mon pauvre ami ?
Le clown
(Se redressant) Parce que c’est ainsi que j’ai toujours été dans ce cirque. Un clown triste, qui faisait peur aux enfants. Et dont le clown blanc se moquait allègrement.
Embaumeuse
Pourquoi ?
Le clown
Il en a toujours été ainsi de l’Auguste, le faire valoir du clown blanc, le bouc émissaire du cirque entier. Et avec mon visage...
Embaumeuse
C’est vrai que cette cicatrice n’est pas très belle malgré sa vieillesse. Comment est-ce arrivé ?
Le clown
J’étais jeune, je vivais à Medellin à cette époque. J’avais peur. Les Cartels de drogue, les fusillades, étaient présents dans toute la ville, et mon père... Ho, mon père n’était pas du genre à tenir sa langue dans sa poche, malgré le danger. Un jour je rentrais de l’école, des hommes de gang m’ont reconnu, mon père avait dû les énerver, ils m’ont poursuivi dans la rue avec une machette et... Quand je me suis éveillé à l’hôpital mon père m’a dit...
Voix off du père
Elle cicatrisera et tu l’arboreras avec fierté mon fils !
Le clown
Le mois suivant il se faisait tuer et nous avons immigré en France avec ma mère, pour nous cacher.
(La lumière baisse sur l’espace central et augmente sur la partie jardin. Là, un salon pauvre avec une vieille table basse, un vieux fauteuil. La mère est debout, une lettre à la main. Le clown enfant se cache un peu derrière le bras du fauteuil)
La mère
(Lisant) Madame, votre fils s’est encore battu et il n’arrête pas de faire le clown en classe. Vous devez prendre les mesures qui s’imposent afin de faire son éducation. Sinon nous nous verrons dans l’obligation de le renvoyer. (Jette la lettre sur la table)
Encore tes mauvais instincts, comme ceux de ton père. Je n’arrête pas de te le répéter, si tu continues comme ça tu finiras dans une housse mortuaire comme lui !
Le clown enfant
Mama ce n’est pas ma faute c’est les autres qui se moquent de moi. (Touche sa cicatrice en parlant)
La mère
Tais-toi ! Toujours de la faute des autres comme ton père. Tu vois où ça l’a mené, où ça nous a menés. Tu crois que je suis heureuse de faire des ménages pour que tu puisses manger et aller à l’école et t’habiller ? Tu crois que c’est parce que tu es défiguré qu’on va tout te donner ? Il faut que tu ailles à l’école. Il faut que tu grandisses. J’en peux plus ! (Sort de scène)
Le clown enfant seul
Il faut que tu comprennes Mama. Je suis le seul colombien ici, le seul à être différent. Les autres me traitent de monstre. Mais j’ai trouvé une solution, je les fais rire et y en a qui m’aiment bien maintenant dans la classe. Mais les grands ils sont méchants. Alors je les cogne et comme ça ils n’embêtent plus les plus petits. Je veux pas ça moi. Je veux les faire rire moi !
(La lumière s’éteint à jardin et reviens sur la scène centrale)
Le clown
J’ai toujours voulu faire rire les gens mais avec mon visage c’était difficile. J’inspirais la pitié, le mépris ou la crainte.
Une fois, plus vieux, j’ai rencontré une femme. Elle m’a aimé un moment mais j’ai pris peur. Elle était enceinte. Je n’ai pas voulu reconnaître l’enfant. Il me ressemblait pourtant. Elle était légiste.
Embaumeuse
C’en est presque vexant. Pourquoi avoir refusé ?
Le clown
J’étais déjà clown à l’époque, déjà à la dèche, déjà enfermé dans mon rôle de monstre itinérant. Je ne voulais pas qu’ils vivent ça. Je ne voulais pas que le petit hérite de mes mauvais instincts, vous comprenez ?
Embaumeuse
Je fais un métier difficile. Des enfants je n’en vois pas si souvent, mais quand ça arrive... Je n’en veux pas pour cette raison. J’aime mon métier, vraiment, mais je sais qu’il n’est pas commun, peu accepté dans la société, bien que très utile. Croyez-moi, si les gens voyaient leurs morts tels qu’on me les amène, il n’y aurait plus que des mises en bière rapides et sans lamentation.
Le clown
Et moi ? Qu’est ce qui est prévu pour moi ?
Embaumeuse
Mise en bière à visage découvert au cirque. Je crois qu’ils veulent vous pleurer.
Le clown
Ou se moquer !
Embaumeuse
Voilà la demande du directeur (elle lui apporte un miroir). Maquillez-le tel qu’il était quand il rendait les gens heureux. Mettez-lui son habit de lumière, celui qui effrayait les petits enfants mais fascinait les mères. Et s’il vous plaît essayez de cacher cette affreuse cicatrice qui l’a tant fait souffrir et oublier bien souvent que même si sa mère l’avait abandonné, nous, nous étions sa famille et nous l’aimions.
(Après avoir regardé son visage une dernière fois le clown sourit timidement et se rallonge)
FIN
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