Souvenir # ?% ~ ???
Un jour, deux jours, trois jours…
Il nous fallut plus d’une semaine. Plus d’une semaine ! Pour seulement quelques broutilles !
Décidément, le Conseil n’était plus au meilleur de sa forme. Entre le nombre grandissant de demandes de changement de tâche et le chantier de Dzwoha qui prenait du retard… Tellement de choses semblaient tourner en rond. Et cela m’agaçait au plus au point. Moi qui m’efforçais de faire en sorte que le Conseil restât le digne souverain de ces terres, il semblait que mes adelphes n’avaient pas ma rigueur ou ne partageaient tout simplement pas cette ambition. C’était si laxiste de leur part ! Si lâche !
Je me souvenais encore du regard moqueur de Kwowè quand j’avais soumis le projet sur lequel j’avais travaillé tout ce cycle. celui-là, décidément… il allait falloir que je fasse quelque chose à propos d'ellui.
– Kawoutsè, m’interpela Kajiki en passant à côté de moi. Veux-tu venir dans mon bureau dès maintenant, pour discuter de ce qui nous concerne ?
Ah oui, « ce qui nous concerne »… J’avais presque oublié ce petit détail. Il y avait des affaires dont seuls ellui et moi avions connaissance. Des choses qui concernaient Joukwo. Et il était temps pour Kajiki de me faire son rapport.
– Oui, répondis-je en lui emboîtant le pas.
Nous avions parlé bas, pour n’être entendus de personne. Devant et derrière nous, les autres conseillers évacuaient la salle à leur rythme. Généralement, je ne faisais pas attention aux conversations mondaines de mes plus jeunes adelphes, mais quelques bribes me parvinrent, et leur frivolité m’irrita. Le travail n’était pas leur préoccupation première, contrairement à moi et à certains des Dix. Qu’iels allassent discuter de leurs petites vies insignifiantes ailleurs que dans la salle du Conseil !
Nous nous engageâmes dans la file de l’escalier qui bouchonnait derrière Psoui et Amka en grand débat sur la meilleure couleur de broderie. Une veine pulsa sur mon front. J’étais sur le point de pousser la voix quand j’entrevis un éclair de cheveux ivoire à l’angle, en bas, vers la sortie.
« Joukwo ? »
Iel était en effet sorti avant nous, seul.
Il fut vrai que depuis l’histoire de la dernière fois, mon adelphe prenait un soin particulier à m’éviter. Un caprice qui devrait lui passer d’ici quelques dizaines de cycles. Même si le savoir ainsi au marais me déplaisait au plus haut point.
Quand bien même Kajiki et moi devions converser de « ce qui nous concerne »… j’eus la pressante envie de rattraper Joukwo et de lui parler. J’eusse de nouveau essayé de le raisonner, je n’avais rien à perdre. Peut-être cela eût-il mis fin à la raison des rapports de Kajiki, par la même occasion.
Je pressai le pas, bousculant ces idiots qui n’avaient visiblement rien d’important à faire, et me retrouvai dans le couloir. Vide.
Où était-iel passé ? Dans le doute, je tournai à droite et poursuivis le couloir vers la sortie Ouest. Un filin d’énergie – faible, mais bien présent – m’indiqua que Joukwo avait été là quelques secondes plus tôt. J’entendis Kajiki trottiner en silence derrière moi tandis que je rejoignais l’extérieur à grands pas.
– Qu’est-ce que tu fais ? me demanda mon bras droit.
Je ne pris pas la peine de répondre.
À la sortie s’étendait une portion de plaine suivie des arbres de Jètouka. Il fallait forcément passer par là pour rejoindre Fapfœ, or, il n’y avait aucun conseiller à cet endroit.
Un rapide coup d’œil vers le ciel éblouissant et je repérai par où Joukwo était passé. Pourquoi aller là-haut, cependant ? La question effleura mon esprit mais ne m’intéressa pas outre mesure. La réponse fût vite venue de toute manière.
Je commençai à monter les marches menant en haut de Dzœñou. Kajiki m’attrapa le bras avec sa faiblesse physique habituelle.
– Allons, qu’est-ce qu’il se passe ? réitéra-t-iel.
– As-tu vraiment besoin de me poser la question ?! rétorquai-je, agacé. Ne vois-tu pas les rubans d’énergie ?
– Ah… Si, mais…
– Alors il n’y a aucune question à poser ! tranchai-je en poursuivant ma route.
Arrivés à mi-chemin, Kajiki décida de remettre le sujet sur le plateau :
– Ne crois-tu pas que cela suffise ?
– Quoi ?! grognai-je, en faisant comme si je n’avais pas compris ce qu’iel voulait dire.
– Eh bien, Joukwo… a déjà admis son tort. Tu ne crois pas que tu pourrais le laisser un peu tranquille ?
Je m’arrêtai dans l’escalier. Je sentis Kajiki se raidir et trébucher derrière moi. Je me retournai lentement vers ellui.
– Cher ami, susurrai-je en le foudroyant du regard. Tout d’abord : je fais ce qu’il me plaît. Et ensuite : je lui ai déjà laissé assez de temps pour réfléchir comme cela. À présent, il faut qu’iel revienne parmi nous. N’est-ce pas ce que tu souhaites, toi aussi ?
– Si, bien sûr, mais…
– Alors c’est décidé. Ce n’est pas parce qu’iel a catégoriquement refusé les dernières fois qu’iel le fera cette fois-ci encore. Après tout, je prends la peine de venir lui parler en personne, iel devrait en être reconnaissant. Et puis je crois en sa capacité à prendre les bonnes décisions.
– Je suis d’accord, simplement… s’iel refuse, essaye de te contrôler.
– Oh, mais j’essaye toujours de me contrôler, Kajiki, lui assurai-je en posant le pied sur la marche suivante. Toujours.
Nous étions parvenus en haut quand des éclats de voix nous parvinrent. Joukwo n’était pas seul. Je me postai à quelques pas de l’escalier et observai. Au sud du lac, près du rebord, Joukwo était en train de se disputer avec quelqu’un. Quelqu’un que je ne connaissais pas, qui n’était pas un conseiller ou un référent. Mais qu’est-ce que Joukwo faisait là avec un simple exécutant ?!
Les faits s’alignèrent soudain dans mon esprit bouillonnant de colère et une révélation me vint. En fait, je savais de qui il s’agissait. J’avais le malheur de savoir.
Cela détériora un peu plus mon humeur mais, simultanément, raviva ma volonté d’enfin avoir cette discussion.
Il était vraiment temps que Joukwo revînt au Temple.
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