Souvenir # ?% ~ ???
Quelques secondes à peine après avoir entendu ses pieds fouler les marches de pierre, je m’effondrai.
Un cri de désespoir s’échappa de ma bouche. Je m’efforçai de le contenir pour ne pas alerter Thoujou, mais certaines choses avaient parfois besoin d’être exprimées, surtout celles trop longtemps contenues… Alors le bruit fut vite suivi de torrents de larmes.
Mais qu’est-ce qui clochait chez moi, à la fin ?! Une autre personne avait daigné m’accorder son attention, et moi, qu’avais-je fait ? Je l’avais blessée. Je l’avais violemment repoussée.
– Comment ai-je pu… sanglotai-je.
Ce fut comme si tu étais parti une seconde fois. Ce furent les mêmes sensations, à nouveau.
Et ce fut une horrible journée qui resta à jamais gravée dans ma mémoire.
Mes mains arrachèrent compulsivement l’herbe sous mes jambes pour les jeter vers le vide. Les brins voletèrent à peine à quelques pieds de moi avant de misérablement retomber sur le sol.
Pitoyable. Minable. Bon à rien…
J’étais comme cette herbe : j’étais condamné à me faire marcher dessus toute mon éternité jusqu’au jour fatal où l’on n’eût plus besoin de moi et où on m’eût arraché…
C’était tout ce que j’étais : un outil, une marionnette du Conseil.
Comment avais-je pu croire un instant que j’avais le droit à la liberté ? Au bonheur ? Ou même simplement à la paix ?!
J’avais été idiot et comment avais-je pu oublier ce simple fait ?! Tout ce que je touchais finissait par disparaître, et Thoujou ne faisait pas exception. Il n’y avait pas d’exception possible à cette règle immuable.
Thoujou… Iel était si jeune, si plein d’espoir, encore. Et j’avais brisé cet espoir, cette joie de vivre qui avait éclairé mes journées pendant tant de cycles. Comment avais-je pu faire cela…
Iel avait essayé de me protéger. Iel m’avait serré dans ses bras. Iel m’avait aimé. Iel m’avait parlé et moi… je n’avais pas répondu. Je l’avais trahi, je lui avais menti, je…
– Peut-être devrais-je vraiment partir… me dis-je.
Tout ce que je faisais ne rendait la situation que plus compliquée. Chacune de mes décisions semblait provoquer des cascades de conséquences négatives. À chaque fois que je n’écoutais pas ce que l’on me disait de faire, c’était la même chose… Mon libre arbitre était une malédiction faite pour me démontrer à quel point mon existence était un poids.
Après tout, à quoi servais-je ? À rien. Si je disparaissais, je n’eusse manqué à personne.
« Ne dis pas n’importe quoi » susurra ta voix au fond de mon esprit.
Et t’entendre me fit de nouveau pleurer. Un sourire triste se peignit sur mes lèvres.
– Toujours là quand j’en ai besoin, hein… répondis-je d’une voix cassée. Mais tu es parti et je ne te reverrai jamais…
« Ça n’était pas de ta faute »
– Si, ça l’était. Je n’ai pas été assez vigilent, j’aurais dû réagir plus tôt. Je suis désolé…
« … »
Tu ne dis plus rien. Et je savais que lorsque tu cessais de répondre, c’est que j’avais raison. Car tu faisais tout pour me détromper quand j’avais tort.
C’était vrai, je n’avais rien fait pour prévenir ton départ. Ta disparition m’avait fait souffrir le martyr, et pourtant, comme un idiot, je venais de laisser l’histoire se répéter.
Je frappai le sol de dépit.
– Thoujou…
Tout ce qu’iel voulait et méritait, c’était de savoir la vérité. Iel avait le droit, après tout, de voir à quel point nous étions mauvais, à quel point nous étions responsables, à quel point iel avait raison. Mais j’étais trop lâche. J’avais trop peur de le laisser me voir tel que j’étais. Je préférais rester dans sa mémoire ainsi qu’iel m’avait vu aux derniers instants : une ordure condescendante.
C’était tout ce que je savais être, de toute façon.
Je me relevai, fort de cette décision qui me paraissait à présent une évidence.
Je fis ainsi que Kawoutsè me l’avait ordonné. Je revins siéger au Conseil et ne fis plus de vagues. C’était là qu’était ma place : sur une chaise sculptée plus haute que moi, entouré de velours et de faux sourires.
La mascarade dura.
Et tant qu’elle l’eut fait, alors eussé-je moi aussi dû jouer mon rôle.
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