L'ETANG AU DIABLE

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Il avançait, les poings enfoncés dans les poches, un petit sourire cruel sur les lèvres.

Ses cheveux noirs, très noirs, retombaient sur les épaules et devant ses yeux gris qui luisaient continuellement d'un éclat froid et méprisant.

De sa personne se dégageait une aura qui touchait quiconque s'approchait de lui. Mélange de répulsion et d'attirance, physique et psychique.

Il arriva bientôt à un carrefour. Lentement il releva la tête et lu les panneaux.

" BRUYERE" et " L'ETANG AU DIABLE".

Il sourit et sans plus hésiter, poursuivit son chemin.

Un corbeau croassa et vint se poser sur son épaule.

Décidément aujourd'hui tous les présages étaient satisfaisants.

Dix minutes plus tard, il arriva en vue d'une petite maison. Dans la cour un enfant jouait.

Derrière la bâtisse, se dessinait au loin l'étang.

Il s'approcha nonchalamment.

Le gamin lui tournait le dos.

- Salut ! lança t-il d'un ton enjoué.

Le petit garçon releva la tête, l'autre grimaça.

Ses doux cheveux blonds bouclés entouraient un joli petit visage rond.

On aurait presque dit un ange, tout droit sorti d'une enluminure.

Agé d'environ quatre ans, il portait un jogging bleu et vert orné de petits lapins brodés.

L'autre avait un jeans, des baskets et un tee-shirt.

- Salut ! répondit le garçonnet avec un magnifique sourire.

- Je m'appelle Martin ! Et toi quel est ton nom ?

- Moi c'est Christophe ! L'autre ne put retenir un sursaut et une seconde grimace.

Pendant un instant, il crut voir une étincelle d'amusement dans le regard de l'enfant, mais cette impression s'effaça rapidement.

- Tes parents sont là ?

- Non, mon père est parti pêcher et ma mère cueillir des fleurs.

Cette fois Martin sourit franchement, cela allait être encore plus facile qu'il n'aurait pu l'espérer.

- A quoi tu joues ?

Christophe montra un morceau de papier qui avait vaguement l'air d'un bateau.

- Je suis le capitaine Pirate et je détruis tout sur mon passage.

Il lui tendit timidement l'objet et demanda.

- Tu veux jouer ? L'autre s'accroupit.

- Bien sûr !

Ils s'amusèrent ainsi toute la journée, tout en s'écartant de leur point de rencontre, ils se dirigèrent vers la forêt et bientôt le soleil commença à décliner. Soudain Martin se laissa choir au sol.

- Je crois que tu devrais rentrer car tes parents risquent de s'inquiéter.

Christophe opina du chef.

- Tu habites où ?

L'autre fit un geste vague.

- Oh, par là bas !

- Tu viens de déménager ?

- Oui c'est ça ! Répondit-il, sautant sur l'occasion.

C'était réellement un de ses coups les plus faciles, il n'avait même pas à chercher les réponses, le gamin les lui fournissait.

- Tu veux venir manger ce soir à la maison ? Demanda Christophe d'un ton enjoué.

- Non, je dois rentrer.

Le sourire du petit s'évanouit et c'est avec tristesse qu'il relança.

- Tu viendras une autre fois ? Maman fera des crêpes, tu sais, elles sont très bonnes.

- Non, surtout pas !

Martin avait prit un air effrayé.

- Pourquoi t'aimes pas les crêpes ? Demanda innocemment l'enfant.

- Tu sais comment sont les grandes personnes ! Répondit Martin d'un air méprisant. Si tu leur dis que tu t'es fait un nouvel ami, ils vont te poser plein de questions et si tu dis que je viens d'arriver dans la région, ils vont se méfier de moi et peut-être même qu'ils t'interdiront de me voir.

Le gamin fronça les sourcils, perplexe.

- Mais pourquoi ?

- Ta maman ne t-a jamais dit de ne pas parler aux inconnus ? S'enquit l'autre d'un ton devenu menaçant.

Christophe réfléchit quelques secondes puis d'un ton joyeux reprit :

- Si ! Elle m'a même dit de ne pas les suivre et de ne pas accepter leurs bonbons.

- Tu vois !

- Mais toi, t'es pas un inconnu !

- Pour tes parents si, et puis ils comprendraient pas.

Il attendit quelques secondes, puis sur le ton d'un conspirateur ajouta.

- Tu sais quoi, ce sera notre secret. Demain on se retrouvera ici, et on jouera tout l'après midi. Tu es d'accord ?

- Oh oui !

L'enfant battit des mains,

- Mais tu le diras à personne ! Juré ?

- Juré ! Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer !

Martin ne put retenir un sourire cruel mais le cacha en détournant la tête. Il le raccompagna donc jusqu'à la lisière du bois et s'en fut.

Le lendemain, le surlendemain et les jours suivants, ils se retrouvèrent et jouèrent tout le long des après midi. Lorsque la semaine s'acheva, ils étaient devenus inséparables. Christophe lui avait avoué qu'il appréhendait la rentrée des classes, le lendemain, car il verrait moins son nouvel ami.

Alors que le soir tombait et qu'ils marchaient côte à côte sur le chemin du retour, Martin dit soudain:

- Tu sais, j'adorerais avoir un petit frère comme toi !

Les yeux du gamin brillèrent de bonheur, mais l'autre gardait son regard fixé au sol.

- Moi aussi, tu es très beau et très gentil !

Martin se mordit les lèvres pour ne pas sourire. Un moment s'écoula puis il reprit, d'un air faussement innocent.

- Tu sais on pourrait quand même être frère de sang.

- Frère de sang ? Comme les indiens ?

- Oui ! C'est encore plus fort que les frères normaux.

- Ah bon ? Demanda Christophe.

Une minute s'écoula, puis il poursuivit, d'une toute petite voix inquiète.

- Ca fait mal ?

- Non ! A peine comme un moustique.

Désormais Martin le dévisageait d'un regard avide.

-Tu veux qu'on soit frères ?

Le petit après une courte hésitation opina du chef. Alors ils s'arrêtèrent, et s'assirent au pied d'un grand chêne, là, Martin sorti un petit canif. Le garçonnet ouvrit de grands yeux d'émerveillement. Ayant surpris son regard, l'autre ajouta avec un sourire qui se voulait angélique.

- Après je te le donnerai.

Il s'entailla le premier, puis tailla proprement dans la chair de l'index de son compagnon et appliqua son propre doigt sur la coupure.

Alors son sourire s'agrandit, le temps sembla se figer autour d'eux. Son visage se déforma hideusement, ses vêtements se déchirèrent sous l'effet de la tension, des poils lui poussèrent sur le visage, les mains, le corps, ses jambes s'arquèrent et se déformèrent. Il mesurait désormais plus de deux mètres de hauteur, il hurla et l'enfant hurla encore plus fort, non seulement de peur mais également de douleur, car il lui semblait que de la lave mêlée à de l'acide parcourait ses veines. Il se mit à pleurer et l'autre à rire.

- Tu es le diable ? Demanda t-il entre deux sanglots.

- Non je ne suis qu'un de ses serviteurs, mais désormais ton âme m'appartient.

L'enfant gémit et reprit.

- Je croyais que les démons ne prenaient que les âmes des grandes personnes ?

- Tu es bien informé pour ton âge ! Dit-il surpris. Et tu poses beaucoup de questions !

- Tu vas me tuer, alors... Alors, je voudrais savoir pourquoi !

- POURQUOI ??? Rugit-il POURQUOI ? Le démon laissa filer quelques secondes avant de continuer dans un murmure.

- Eh bien je vais te le dire, ensuite tu mourras ! Je suis le préféré du Diable, mais je ne peux me satisfaire d'être son subordonné. Lui se contente d'âmes corrompues, mais moi je prends les âmes pures, vierges de tout crime, ainsi j'en possède déjà, sans la tienne, 664 et dès que j'aurai atteint le chiffre fatidique de 666 le nombre du Malin alors je le renverserai et je régnerai seul sur l'enfer, à tout jamais.

Un silence de glace s'installa l'espace d'un instant, puis soudain un cri de détresse s'arracha de la gorge de Christophe, un cri qui n'avait rien d'humain et qui se transforma bien vite en hurlement de rage et de fureur pendant que s'opérait une stupéfiante métamorphose.

Le ciel devint rouge, une odeur de souffre imprégna l'air jusqu'à le saturer et le rendre irrespirable. Toute la végétation qui les entourait prit feu et se consuma en quelques secondes. Un vent violent balaya les cendres qui enveloppèrent l'enfant jusqu'à le rendre invisible au démon. Le tourbillon grandit, grandit, jusqu'à atteindre six mètres de hauteur. Alors les cendres retombèrent, le vent disparut et sur cette terre désolée il ne resta plus que le démon et l'Innommable. Celui qui avait été Martin se jeta au sol en suppliant, en implorant son pardon, devant lui l'enfançon, était devenu Satan en personne.

- Je n'avais pas voulu croire tes délateurs ! rugit-il. Tu étais ma plus grande fierté et je te considérais comme mon fils. Il secoua la tête d'un air peiné et poursuivit. Mais désormais... Sa voix se brisa. Tu seras mon plus grand regret !

Il ferma les yeux et dans un hurlement et un grand éclair noir, l'autre disparut réduit au néant le plus total.

Alors le diable s'agenouilla, et recueillit quelques poils roussis, derniers vestiges d'un sentiment qui n'aurait jamais dû naître.

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