Ce qu'il se passa entre les temps

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  • Nous n'aurions pas dû l'envoyer chez les humains.

 Un froissement d'étoffe avertit la dame que son compagnon derrière elle venait de quitter le lit.

  • De quoi as-tu peur ?

 Elle resserra ses bras et laissa errer son regard à travers la fenêtre devant elle.

  • Il est en train de prendre toute leur horreur en pleine face. Nous allons le perdre, je le sens.
  • Ma douce... cela fait des lustres que nous préparons sa venue. Fais-lui confiance.

 Il l'enlaça alors qu'elle appuyait son front à la vitre. En-dessous s'étendaient des nuées tortueuses opaques, dans lesquels des formes semblaient par moments prendre vie.

  • J'ai un mauvais pressentiment. Cela ne donnera rien de bon.

 Son compagnon se contenta de soupirer et de la serrer contre lui.

  • Il ne tiendra pas le coup ! Ce n'est qu'un enfant encore !
  • C'était ton idée, ma douce.
  • Il en fallait un. Nous ne pouvions pas laisser l'humanité comme cela. Mais maintenant, je me sens coupable de donner à cet enfant une mission à laquelle nous deux avons échoués.
  • C'est une expérience, tu l'as dit toi-même.
  • Une expérience cruelle.
  • Tu regrettes ?

 Elle secoua la tête, sans conviction, et repoussa le rideau ouvragé pour contempler les volutes.

  • Il leur fallait un guide. C'est tombé sur lui. Je le plains, voilà tout. Sa mission est immense, ça pourrait lui monter à la tête. Elle est peut-être même impossible.
  • Mon amour, lui dit son compagnon, faisons-nous, nous même, partie du domaine du possible ?

 Elle eut enfin un pâle sourire et posa sa main sur le bras qui l'entourait.

  • Laisse-lui le temps, poursuivit-il à son oreille. Souviens-toi combien de temps il nous a fallu pour choisir cet enfant, préparer le terrain, lui choisir une famille... Nous n'aurions pas pu faire mieux.
  • Je sais. Espérons, alors.

 Il hocha la tête et la quitta pour retourner s'asseoir sur les draps.

  • Tu n'as pas sommeil ?

 Elle passa la main sur son ventre ; son ventre gonflé, qui portait la promesse d'une nouvelle vie à venir. Puis elle volta pour le rejoindre. Elle déposa un baiser sur ses lèvres et s'allongea en repliant un bras sous sa tête. Il s'étendit à son côté avec un bras autour de sa taille.

  • Dors maintenant. Tu verras, il s'en sortira.

 Elle prit sa main, ferma les yeux et murmura :

  • Courage, Gabriel.

 Quelques nuées plus tard, elle se dressa sur le lit en sursaut, dans le plus parfait silence. Ses yeux projetèrent de la lumière bleutée mouvante pendant quelques instants, puis s'éteignirent. Elle eut un frisson qui éveilla celui qui dormait à ses côtés.

  • Tu as vu ? demanda son amant le plus naturellement du monde.
  • Nous avons commis une erreur.

 Elle pivota sa tête pour le fixer dans les yeux.

  • Nous lui avons insufflé la colère.
  • Pour le motiver, lui donner la rage de vaincre, oui, je me souviens, répondit son amant.
  • Sa propre colère le tuera.

 L'écho grave de cette phrase se répercuta sur la voûte du ciel et se perdit dans les formes mouvantes.

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