La dernière conversation
" Bordel, c'est long ! "
Tatiana abattit violemment son poing sur la table de bois de la cuisine. Assise en face, son amie Adeline n'eut même pas un sursaut. Elle se contenta de répondre en haussant un sourcil :
" Qu'est-ce que tu croyais ? Je t'avais prévenue, vouloir se foutre en l'air de cette façon, c'est débile.
- Tu m'avais garanti que ce serait rapide !
- J'ai dit ça, moi ?
- Oui ! " T'en fais pas Tatiana, je l'ai fait moi-même ce poison, bois-le et tout sera fini très vite... " Des clous ! Ça fait une heure que j'ai avalé ta cochonnerie, et je pète toujours autant le feu ! "
Tatiana se leva brusquement, et se mit à faire les cent pas dans la pièce tout en grommelant et maugréant.
" Tu te prends pour Socrate ? demanda Adeline.
- C'est ça, fais ta maligne...
- Hé, c'est pas moi qui veut crever à 28 ans.
- Je t'ai déjà expliqué...
- Oui, oui... N'empêche que je ne comprends pas pourquoi tu veux te tuer de cette manière. Le poison, en général, c'est pour tuer les autres que la gente féminine s'en sert.
- C'est toi qui me l'as préparé, alors c'est tout comme.
- Je t'ai pas forcée à boire.
- Mmmh... "
Tatiana se rassit, haletante. Adeline la regarda pleine d'espoir :
" Ça y est, ça marche ?
- Nan. J'ai juste mal aux jambes.
- Ah... "
Adeline se leva, s'étira, bâilla, et finit par demander :
" Alors, qu'est-ce qu'on fait ?
- Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ? On attend.
- Je maintiens qu'il suffirait d'acheter un peu de mort aux rats...
- Ah non ! Tu vois le tableau ? " Ci-gît Tatiana, qu'a crevé comme un rat ". Non, non !
- C'est dommage, quand même. J'avais fini par m'attacher à toi.
- On en a déjà parlé, abrutie. "
Le silence se fit. Adeline reprit :
" Bon, en fait, vivement qu'il marche, mon poison.
- Gnagnagna...
- Si on distribuait des médailles aux râleuses, tu serais au moins générale.
- C'est tout ce que t'as trouvé à me dire pour mes derniers moments ?
- Tu les passes bien à te plaindre.
- Parce qu'une abrutie m'avait garanti un résultat rapide.
- Tu fais une fixette sur ce mot. Je te conseille d'élargir ton lexique dans ta prochaine vie.
- Parle pas de malheur. Ah...
- Quoi, t'as encore mal aux jambes ?
- Non, cette fois ça vient.
- Tant mieux.
- Enfin, je crois.
- Bon, tu te décides, tu meurs ou tu meurs pas ?
- Je meurs.
- Bien !
- Peut-être.
- Pfff... "
Tatiana cligna des yeux, secoua la tête, et s'affala sur la table. Adeline se pencha sur le corps de son amie :
" Ça y est, t'es morte ?
- Oui.
- T'es lourde.
- Eh oh, à qui la faute ?
- Fallait le faire toi-même, ton poison.
- Je voulais que ça vienne de toi.
- Si tu continues, je vais pleurer.
- Si tu pleures, je te tue.
- Bon ! Et qui t'enterrera ?
- C'est possible de me laisser mourir en silence ?
- C'est toi qui n'arrête pas de causer.
- Je... "
Tatiana eut un hoquet, ferma les yeux. Puis cessa de respirer. Adeline la secoua, l'appela plusieurs fois. Aucune réponse. Elle se rassit en face de son amie, saisit la carafe sur la table, et se servit un grand verre d'eau glacée qu'elle but d'un trait.
" C'est pas trop tôt", dit-elle alors.
Une unique larme coula sur sa joue sans qu'elle s'en rende compte.
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