Oups !
J'ai renversé, du bout d'une plume un peu chose,
Le petit pot de sons sur le bord de ma table ;
Il chuta vertement (tout du moins je suppose)
Pour s'aller fracasser, d'un élan formidable,
Sur le sol où, coulant telle une flamme éclose
Une cacophonie impérieuse et rose
Inonda mon salon de sonnets et de fables,
De sottises sans nom, preuves irréfutables…
Maintenant j'ai des mots partout :
Dans les toilettes, mon faitout,
Ma réserve de brocolis,
L'armoire, et jusque dans mon lit !
Des mots d'amour entremêlés
Avec le jargon scientifique
(Ça donne au cœur un air oblique
Et des poèmes trop salés),
Des mots parfois un peu tordus
Qui ne sont dans le dictionnaire,
Dont les usages sont perdus
Dans une langue imaginaire,
Des mots à peine prononcés,
Chuchotements cachés dans l'ombre,
Des mots criards et courroucés
Menaçant de se faire nombres,
Des mots qui me disent souvent
D'aller me faire spaghetti
Avec mon cœur introverti
Dont les volets volent au vent,
Des mots enfin qui se délassent
Au fil aimant du quotidien,
Dont je suis le seul comédien
Avant que les Moires le cassent.
De tous ces mots, j'aurais voulu
Dessiner l'âme et le regard,
Dire en passant que mon salut
N'est que le sentiment de l'art
Aux étincelles dévolu ;
J'aurais voulu aller me dire
En leur infiniment véloce,
À l'intime lier la noce
Comme un banal, ou même pire :
L'iridescent tenant sa bosse.
Mais de ces mots, je ne sais plus
Chanter les rimes, les mesures,
Caresser les douces brisures
Et les méandres chevelus,
Car en coulant de sous ma plume
Ils m'ont volé toute ma voix,
Et je reste à lire autrefois
Sous le vélin comme une enclume.
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