Quand Madame est en colère...
Une semaine était passée et l'esprit des fêtes s'estompait enfin. Les clients se faisaient plus rares, du fait du froid et de la pluie.
On revenait tout doucement à une vie normale.
Soirées mouvementées mais journées calmes.
Juste ce qu'il fallait pour composer activement de la poésie, n'est-ce pas ?...ou plutôt pour se reposer des heures dans son lit de plumes.
Nous étions dimanche et chacune des filles se prélassait en déshabillé vaporeux devant le feu ronflant de la cheminée.
On jouait aux cartes.
Arriva sur ces entrefaites une Madame Germaine des mauvais jours, l'oeil noir et le chignon dressé.
On pouvait connaître l'humeur de Madame rien qu'à regarder son chignon et là, toutes les filles se détournèrent et contemplèrent avec attention le feu et les tapis.
" Où est Gabrielle ?"
Les filles levèrent des regards bovins sur Madame, mais personne n'osa répondre. L'interpellée se redressa et tout sourire, elle se fit enjôleuse.
" Madame ? Que se passe-t-il ?
- On s'est plaint de vous en hauts lieux, je ne vous félicite pas."
Gabrielle réfléchit et rétorqua, désolée :
" Mais c'est que M. de Vaudreix a une bite énorme, madame, et je me suis étouffée avec. Je suis désolée de...
- Mais qui vous parle de ça, impertinente ? hurla madame Germaine. Ce sont vos haïkus ! Un attaché du ministère de la Défense s'est plaint ! Vous n'êtes même pas capable de compter, ma pauvre Gabrielle ! 5-7-5 ! C'est quand même pas compliqué !
- Mais, madame ! J'ai fait de mon mieux !
- Et bien, ce n'est pas suffisant ! Et faites mieux aussi pour les thèmes ! C'est une maison sérieuse, ici ! On ne propose que des divertissements de qualité et vous écrivez des...des...
- Haïkus ?
- GABRIELLE ! Vous allez me faire le plaisir de faire mieux ! Il nous faut des textes mieux pensés, avec plus de grâce et de magie ! Il faut créer une atmosphère en trois lignes et dix-sept syllabes ! 5-7-5 ! Parlez du temps et de l'amour ! Pas de votre bouche et de votre cul !"
Une fille gloussa et déchaîna à son tour les foudres de ce Zeus en jupons.
" Hé bien, Louison, puisque ça vous fait rire, vous nous ferez des calligrammes !
- Des quoi, madame ?
- Et il faut aider Corine avec ses sonnets, la pauvre n'en dort plus."
On hocha la tête et on subit la colère sans broncher.
Seulement, en se retournant une dernière fois sur ses filles se prélassant dans le salon, Madame ordonna :
" Gabrielle ! Allez dans la cuisine, il y a un radis noir conséquent ! Vous devez vous entraîner ! Je ne veux pas de ça dans mon établissement !"
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