23 janvier - 17 heures
Le Cercle de l'Union était un club masculin, parisien, élitiste, situé au 33, rue du Faubourg Saint-Honoré. On en devenait membre par parrainage et vote à l'unanimité. L'objectf était de décerner des prix littéraires et de patronner des courses de chevaux.
On venait surtout y jouer aux cartes et boire entre amis.
L'ambiance était solennelle, feutrée et austère.
Des hommes étaient assis dans de vastes fauteuils, buvant des verres d'alcool fort, fumant des cigares odorants et conversant à voix basse.
Mais les conversations se turent lorsqu'une femme osa pénétrer dans le salon du Cercle.
Là, pas de sifflets ou d'applaudissements, mais un silence hostile.
Un serviteur suivait Gabrielle de Plessis et tentait de la retenir.
La cocotte avançait, déterminée et sûre d'elle.
Malgré tout, le domestique réussit à saisir brutalement son bras et le serra à lui faire mal.
Gabrielle ne dit rien.
On parla pour elle.
" Lâche-la, espèce d'animal !, ordonna un homme en repoussant le serviteur affairé.
- Mais, monsieur de Vaudreix. Ce lieu est interdit aux femmes ! Elle...Elle ne peut pas...
- Elle peut ! Sachez-le, Athanase !
- Mais...mais...
- Cessez de bêler et apportez-nous du bourbon.
- Oui, monsieur de Vaudreix."
Le domestique déguerpit et Etienne de Vaudreix se tourna vers la visiteuse.
" Merci, monsieur de Vaudreix, murmura-t-elle avec un gracieux sourire.
- Gabrielle ! Que viens-tu donc faire ici ?
- Mais te voir. Tu te fais rare."
Une seule parole suffit pour faire sourire béatement le grand chasseur de fauves.
" Vraiment ? Je suis rentré il y a peu, figure-toi !"
Gabrielle lui prit le bras et se lova contre lui.
" Où étais-tu parti cette fois ?
- En Sibérie, c'est la saison du tigre.
- Mon Dieu !
- J'ai failli être blessé, figure-toi. Mais...
- Etienne ! Vieux pendard ! Tu as amené une femme ici ?"
Un nouveau venu apparut et toisa la femme avec intérêt.
" Gabrielle, je te présente le célèbre aéronaute et explorateur Jacques Faure, Jacques, voici Gabrielle du Plessis, une femme du monde et une artiste lyrique."
Baise-main et courbettes, Gabrielle se laissa saluer.
" Une femme du monde ?
- Et une artiste lyrique, ajouta Etienne de Vaudreix.
- Et je suis intéressée par les récits d'exploration, monsieur Faure, fit Gabrielle, tout sourire.
- Je peux vous raconter mon vol en ballon au-dessus de la Chine, très chère.
- Comme dans Jules Verne, monsieur Faure ?
- Encore mieux !"
Subrepticement, Etienne de Vaudreix saisit le bras de Gabrielle du Plessis, il l'attira à lui et s'exclama :
" Plus tard, mon cher Jacques. Gabrielle est venue pour moi.
- C'est vrai. Veuillez me pardonner, M. Faure.
- Pas de souci, se recula l'explorateur. Les chasseurs de fauves ont toujours leur charme."
Sans répondre, Etienne de Vaudreix entraîna Gabrielle jusqu'à sa table et la fit s'asseoir. Le serviteur apporta le fameux bourbon et s'enfuit aussitôt.
" Tu es incroyable, Gabrielle ! Ce club est interdit aux femmes et tu le sais !
- A qui la faute ?, se défendit la cocotte. Tu ne viens plus au One-Two-Two !
- J'ai été occupé, ma jolie. Que crois-tu ?
- Rien. Rien du tout."
Etienne de Vaudreix fut surpris. Il entoura de son bras les épaules de la femme.
" Tu es fâchée, ma Gabrielle ?
- Non. Parfois j'oublie ma place.
- Ta place ?
- Je suis une cocotte. Rien de plus.
- Ho ho ! Pas de ça avec moi ! Je ne suis pas souvent à Paris, tu sais.
- Je sais."
Gabrielle leva les yeux vers le beau chasseur et lui sourit, mélancoliquement.
" Tu as une vie trépidante, mon cher Etienne.
- Je vais te ramener une zibeline, ma jolie. Et une peau de tigre blanc. Les veux-tu ?
- Oui, si tu veux."
Etienne fut dépité et ses mains caressèrent le dos de Gabrielle.
" Cela ne te plait pas ?
- Raconte-moi plutôt tes chasses, Etienne."
Gabrielle posa ses doigts mutins sur le costume de son compagnon, suivant le contour des larges épaules de l'homme.
" Tu veux ça ?
- Mais oui, tesoro. Je veux profiter de toi.
- Ma jolie Gabrielle. Tout ce que tu désires.
- Toi... Tes chasses... Tes nuits sibériennes...
- Je t'aime, tu sais ?
- Vraiment ?"
Etienne embrassa Gabrielle, y mettant tout son coeur.
" Oui.
- Alors écris-moi un haïku."
Le chasseur se mit à rire.
" Belle tigresse, André m'a prévenu. Je te l'ai déjà écrit. Un chasseur a toujours une longueur d'avance sur sa proie.
- Mhmmm. Je suis une proie ?"
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