24 janvier - 20 heures
Montmartre en 1910.
Repère de voyous et de pauvres sans le sou. Des artistes et des peintres survivaient et des Parisiens venaient s'encanailler au contact des Apaches.
Et pas seulement des Parisiens.
Au cabaret mal famé du Clou et de l'Âne Rouge, un Américain savourait une absinthe en regardant les couples chalouper, suivant les pas de la Valse des Truands.
Il était seul et perdu dans ses pensées lorsqu'un jeune homme s'assit près de lui.
Aussitôt, les réflexes vifs du détective le firent sortir une arme.
" THE FUCK !
- Calm down," rétorqua l'inconnu.
Il se pencha vers Jim Barnett et sa main osa baisser le canon du revolver. Ce faisant, Jim sentit son parfum, Après l'Ondée, de Guerlain.
" Gabrielle ?! You ? Here ?
- Yes ! Me ! Here ! "
Le jeune homme leva la tête et Gabrielle du Plessis apparut. Vêtue d'un costume masculin, avec ses longs cheveux bouclés cachés sous un béret et sa moustache au crayon, la cocotte faisait sensation.
" Cela me rajeunit, non ?
- It's foolish to come here. It's dangerous.
- Really ? Il me semble que le seul danger vienne de toi."
Intrépidement, Gabrielle s'empara de l'absinthe de Jim et trempa ses lèvres.
" Mhmmm. Définitivement.
- What do you want, Gabrielle ? A new poem ?"
Tout sourire, la femme répondit :
" Non. Tu n'es pas à la hauteur, sweety boy. Etienne fait mieux."
Gabrielle embrassa sans hésiter l'homme sur la joue.
" Don't worry. Je suis venue te voir le temps d'une soirée. Veux-tu danser ?"
Il ouvrit la bouche mais ne put répondre.
Une femme s'assit à son tour à sa table en s'exclamant :
" Jim Barnett ! Toi avec un homme ? Si Tout-Paris le savait ! Je suis follement heureuse de le savoir.
- Mistinguett !, soupira Jim.
- Mais non ! Je suis cloche, c'est Gaby ! GABY !
- Mistinguett ! Comment ça va au Moulin ?
- Admirable ! Et Maurice a eu des engagements ! Tout va pour le mieux."
Jeanne Florentine Bourgeois, dite Mistinguett, était danseuse de revue au Moulin Rouge, le music-hall était toute sa vie. Son public était Paris dans son entier et Paris l'adulait. Tout allait pour le mieux en effet.
" Et pour le One-Two-Two ? J'ai entendu une drôle d'histoire sur monsieur de Jussac ! Raconte !"
Gabrielle ménagea ses effets, elle se rengorgea pour expliquer :
" Corine a essayé d'égorger M. de Jussac avec ses dents.
- QUOI ?
- L'homme a eu l'audace de s'appeler Alexandre.
- Et alors ?
- Corine est allergique aux alexandrins."
Gabrielle se mit à rire aux larmes tandis que personne ne comprenait.
Plusieurs minutes se passèrent à évoquer le passé, en buvant des absinthes. Jim Barnett dévorait des yeux la charmante Gabrielle du Plessis. Elle était si belle dans son costume d'homme.
Mistinguett contemplait les couples qui dansaient autour d'eux et sourit de plaisir.
" La valse des Truands ! Merveilleux !"
Après un long silence, Mistinguett ajouta :
" Hey ! What are you still doing on your ass ? Take her to the dancefloor !
- I don't dance."
Mistinguett leva les yeux au ciel et reprit la conversation endiablée sur Madame Germaine, ses chignons à l'horizontal et ses dangereuses lubies.
Ce fut alors qu'une femme vint proposer ses services. Elle toisa Gabrielle.
" Tu danses, la joliette ? Il y a de la place pour toutes."
Sans hésiter, la cocotte se leva et accepta le bras de sa partenaire.
" Pourquoi pas ? J'adore la Valse des Truands !"
Elles se mirent à danser avec entrain et Mistinguett foudroya des yeux Jim Barnett.
" You are such a moron.
- Shut the fuck up.
- Bien entendu. Tu viens de la perdre, l'Amerloque. Je connais sa danseuse, elle sait y faire. Gabrielle sera dans son lit ce soir."
Mistinguett but une gorgée de son absinthe et laissa ses pensées dériver.
" Do you have a pen ? I have a haïku to write, marmonna le détective.
- Tu fais de la poésie ? You ? Jim Barnett ?
- The woman who will beat me is not born yet."
Mistinguett rit si fort que les Apaches la reconnurent.
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