Quand une cocotte se montre tendre...
L'immeuble sis au 5, rue Chalgrin dans le XVIe arrondissement, était bien agencé. Le décor parlait de son propriétaire, mieux que ce dernier ne le faisait.
Tout racontait une vie d'aventure et d'exotisme. La Cochinchine et ses pagodes, ses collines aménagées en terrasses couvertes de rizières, ses colons et ses indigènes...
De belles estampes exposées sur les murs montraient des paysages asiatiques. Ici des grues survolaient un hiver enneigé, là, des jeunes femmes jouaient à des jeux inconnus.
" C'est une partie de Tam Cuc. Un jeu de cartes cochinchinois," lança une voix.
Gabrielle du Plessis se retourna, les yeux étincelant de joie...
" Arsène ! Te voilà !"
Et la cocotte se précipita dan.s les bras de M. Lenormand, cherchant à se serrer au plus près de lui. L'homme rendit l'étreinte et ferma les yeux.
Il se perdait dans le parfum de la femme.
" Tu es venue, Gabrielle, malgré la crue ? Tu n'es pas raisonnable. Si quelque chose t'était arrivé...
- Tu m'as dit que tu serais là aujourd'hui. Je voulais te voir.
- Gabrielle..."
L'étreinte s'arrêta lorsque la femme se recula.
" Et la Normandie ? Tu as réussi ton affaire ?
- Parfait.
- Mon beau chef de la Sûreté. J'ai envie de te faire du bien.
- Vraiment ?"
Gabrielle du Plessis se mit à rire. Elle contempla son ami et le trouva changé. Lenormand paraissait fatigué et les nuits d'insomnie marquaient ses joues.
" Si tu es venue pour le haïku, Gabrielle, fit le policier, désabusé, reviens demain, je n'ai pas encore eu le temps de déballer mes affaires ou d'aller chez le préfet. Il faut encore régler cette histoire de crue. On a réclamé mes services.
- Chut ! Tu vas dire des bêtises ! Je suis venue pour toi.
- Pas pour le haïku ?
- Non. C'est André qui me l'a écrit. Toi, je ne te demande qu'une chose."
Gabrielle caressa la joue de Lenormand, sentant la dureté de la barbe sous ses doigts.
" Laquelle ?, souffla l'homme.
- Ton temps.
- Tu l'as. Ma douce Gabrielle.
- Et une partie de Tap Cul, tu as des cartes ?"
Lenormand rit, sa migraine disparaissait sous la gentillesse de la cocotte.
" Tam Cuc et j'ai effectivement des cartes."
Gabrielle frappa dans ses mains et s'exclama :
" Alors on joue ? On va dans ta chambre ? Tu me laisses m'occuper de toi ?
- Gabrielle... Et le préfet ?
- Tu diras à M. Hennion que tu étais avec moi et cela ira."
Monsieur le chef de la Sûreté regarda la femme, si sûre d'elle, et acquiesça.
Après tout, qu'était-ce qu'un préfet ?
Que pouvait bien signifier une ville noyée par les flots d'un fleuve en furie ?
A côté d'une femme jouant les amoureuses et lui apportant tendresse et affection ?
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