La pluie tombait sans discontinuer et plusieurs places de Paris étaient inondées. Gabrielle contemplait cela avec une infinie tristesse.

Puis elle reçut un message étrange dans le courant de la journée :

" As-tu toujours ton onyx ? Viendrai ce soir !"

Ce qui lui redonna le sourire et une bouffée d'espoir.

Elle resta toute la journée au One-Two-Two à jouer les cocottes et les femmes du monde.

Seule Madame lui fit une remarque désagréable.

Elle désigna sa bague et grommela :

" Qu'est-ce que c'est que cette horreur ? Où est votre perle habituelle ?

- C'est un onyx, madame.

- Bouh ! Que c'est laid !

- Si vous le dites, madame. Moi, elle me rappelle un ami..."

Madame Germaine ne prit même pas la peine de relever.

Puis le soir, elle se douta de quelque chose lorsque la police vint inspecter le bordel. La Brigade des Moeurs venait rarement au One-Two-Two et quand elle venait, Madame Magloire était discrètement prévenue afin d'éviter les soucis.

Pas cette fois !

Un inspecteur grand et désagréable menait la danse et exigea de voir tous les papiers d'identité des pensionnaires de la maison. Ainsi que les livres de compte et les registres.

Madame s'affola mais obéit.

Toutes les jeunes femmes furent exposées et examinées par des médecins assermentés. Pour voir l'hygiène et vérifier l'état de santé.

Seulement, l'inspecteur n'était pas dupe. Il désigna la petite bonne et interrogea sèchement madame :

" Et la petite ?

- C'est la servante, inspecteur.

- Quel âge ?"

Madame Germaine se troubla et ne sut que dire. Janine ouvrait de grands yeux inquiets. Gabrielle du Plessis s'approcha de l'inspecteur et répondit fermement :

" Quatorze ans, inspecteur."

La main qu'elle posa sur la table, juste sur les documents d'identité de Janine, portait une chevalière d'argent avec une pierre d'onyx. Cela fit sourire le flic.

Il arborait la même bague au même doigt.

" Vous m'en direz tant ! Si jeune et déjà au turbin ? Dans un bordel ? Ceci est illégal !"

Madame ne savait pas quoi dire, Javert montra les dents :

" Inspection générale ! Je veux tout et tout voir ! Ordre de M. Lenormand !"

La mère maquerelle baissa la tête, tandis qu'une marée d'uniformes bleus fouillait ses locaux.

Le soir-même, Janine était en sécurité dans une pension de jeunes filles en attendant mieux.

Deux amis buvaient de concert en regardant la pluie tomber toujours.

" Ordre de M. Lenormand ? Tu m'en diras tant beau merle !, souriait la cocotte. Qui a vendu la mèche ?

- Aucune idée ! On va dire que le chef de la Sûreté a un grand coeur. Il est venu ici, non ?

- Oui, cela est arrivé. Mais il vient surtout dans mon lit !"

L'inspecteur ricana.

" Un cogne est un cogne. Il a dû remarquer la gosse. Toute belle et appétissante que tu sois, la punaise, le daron n'a pas les quinquets dans sa poche.

- J'en suis heureuse.

- J'aime ton onyx ! Je suis content que tu l'aies gardé."

Gabrielle contempla sa main et répondit, tout à ses souvenirs de jeunesse :

" C'est toi qui m'as sauvée de la rue, inspecteur. Je ne l'oublie pas.

- Tssss. Tu as le vin triste ce soir, la cocotte.

- Que va devenir Janine ?

- Ca ! Il faut demander à M. Lenormand. Je ne suis qu'un cogne, moi, pas un chef.

- Merci, Javert."

La cocotte embrassa la joue de son cogne d'ami et les deux êtres si dissemblables se sourirent.