3 mars - 18 heures
Le salon de l'Amazone était tenue par Nathalie Clifford-Barney. Des personnalités venues de tous les horizons et de toutes les sociétés s'y côtoyaient.
Des demi-mondaines et des artistes, des écrivains et des scientifiques...
On fumait le narguilé, on buvait des cocktails à assommer des boeufs, on discutait de tout et de rien.
Surtout d'amour et de poésie.
Gabrielle du Plessis y fit une entrée remarquée. Seule et brave.
Liane de Pougy vint l'accueillir en souriant.
Un bras entoura sa taille et des doigts caressèrent ses épaules nues.
" Vous nous avez manqué, Gabrielle, ma chère, assura Liane.
- J'ai eu des empêchements, madame.
- Adorable enfant ! A nos âges, parlez d'empêchement ?!"
Les rires fusèrent, amicaux et musicaux.
Puis une voix cristalline retentit alors, tandis qu'apparaissait l'Amazone dans toute sa splendeur.
" Ce soir, je vais vous déclamer une poésie de ma très chère disparue, Renée. Ma jolie Sapho.
Comment oublier le pli lourd
Comment oublier le pli lourd
De tes belles hanches sereines,
L’ivoire de ta chair où court
Un frémissement bleu de veines ?
Et comment jamais retrouver
L’identique extase farouche,
T’oublier, revivre et rêver
Comme j’ai rêvé sur ta bouche ?
Des applaudissements fusèrent et des vivats résonnèrent.
Liane de Pougy affichait un sourire triste qui interloqua Gabrielle.
" Vous n'allez pas bien ?
- Je vais tristement. Nous avons perdu une chère amie en novembre dernier. Une merveilleuse âme, mais très tourmentée.
- Sapho ?
- Oui, ma candide. Il s'agissait de Renée Vivien et tous la surnommait Sapho 1900. Elle a été très amie avec Natalie Clifford Barney, notre hôte.
- De quoi est-elle morte ?
- De tristesse et de chagrin. De faim et d'alcool.
- Pauvre femme !
- Avez-vous goûté un de ces cocktails, Gabrielle ?
- Non.
- Ne le faites surtout pas ! Ce sont ceux de Renée et elle était la seule à pouvoir les boire. Il s'agit quasiment d'alcool à brûler.
- Mon Dieu !
- Avec de la drogue... Mais n'en parlons pas ! Chut !"
Liane saisit la taille de Gabrielle et l'emmena plus près des personnalités qui s'entretenaient de tout et de rien.
Surtout de l'art et de la passion.
Gabrielle du Plessis se demanda un instant si elle avait réellement quelque chose à apporter à toute cette flamboyante assemblée.
Elle n'était qu'une cocotte parmi des poètesses et des journalistes, des sculpteurs et des peintres...
Elle songea à son cher Jim qui lui manqua terriblement l'espace d'un battement de cils.
Liane de Pougy revint près d'elle et tout disparut dans l'ombre de son sourire.
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