Gabrielle du Plessis faisait ses comptes.

Assise à sa petite table de chevet, elle calculait. Sur son lit, des factures, des reçus, des reconnaissances de dettes s'étalaient.

Peu de recettes pour la cocotte.

Et beaucoup de frais.

Pour la coiffure, pour la garde-robe, pour les chaussures, pour les déplacements, pour la lingerie...

Pour être toujours aussi jolie et attirante.

Gabrielle soupira. Elle faisait attention, certes, mais elle dépensait beaucoup trop.

Moins de lingerie, moins de fiacre, moins de beauté...

La cocotte accepta les sacrifices.

Puis elle compléta la colonne qui lui faisait le plus de mal : les enfants.

Ses deux mômes perdus dans une ferme de l'Oise : Charles et Hélène. Elle les voyait fort peu et ils lui manquaient beaucoup.

Deux mômes dans une vie de cocotte... Il fallait les en protéger.

Les factures étaient conséquentes. Vêtements, nourriture, médecin, école...

Gabrielle comptait et se désespérait.

Moins de lingerie, moins de fiacre, moins de parfum, moins de bijoux...moins de tout...

Fatiguée, la femme leva les yeux et aperçut une étole. Elle lui avait été offerte par le prince Sernine.

Rassérénée, elle ajouta une colonne à son budget qu'elle intitula : "cadeaux".

Des cadeaux offerts par ses clients qui devenaient des amis, des amants et qui sait un jour ?

Le prince Alexeï Sernine gagnait haut la main avec ses parfums, ses bijoux, ses étoles, ses cachemires, son amour passionné. Il dépensait sans compter et se montrait empressé.

En rouge, Gabrielle traça les mots suivants : "Marié à son devoir auprès du Tsar, et moi ?"

Venait ensuite Arsène Lenormand avec ses sorties, ses dîners, ses sourires plus doux et son besoin d'elle. Il possédait un bel appartement dans Paris et aimait la voir y déambuler.

En rouge, Gabrielle écrivit : "Veuf, inconsolable ?"

André Laroche posait un problème. Leur histoire était ancienne et compliquée. L'industriel connaissait Gabrielle depuis son arrivée à Paris. Elle était encore jeune et travaillait comme servante chez un député. Laroche l'aima beaucoup dans ce rôle et l'aida de son mieux. Le vieux député la trouva aussi à son goût et lui fit tout naturellement deux enfants avant de la chasser de sa maison. Par souci du qu'en-dira-t-on. L'inspecteur Javert la sauva de la prison et plaça ses enfants à l'abri, Laroche n'apprit pas l'existence des mômes et la sauva de la rue. Entre eux, les cadeaux étaient rares mais l'affection certaine. Seulement André Laroche était André Laroche.

Il suffit de griffonner en rouge : " Homme à femmes" pour lui régler son sort.

Etienne de Vaudreix, émérite chasseur de fauves et explorateur de terres lointaines, était un homme adorable. Il lui promettait des cadeaux et lui demandait de l'accompagner dans ses aventures. Mais justement, le souci était là.

Un rouge " Aventurier " résuma le problème.

Jim Barnett et Don Luis Perenna n'avaient pas offert beaucoup de cadeaux, mais ils étaient de précieux amis. Amants incomparables, ils réussissaient l'exploit de faire oublier à la cocotte qu'elle n'était qu'une cocotte justement. L'aimaient-ils ?

En rouge, Gabrielle nota : "Célibataires. Intéressés ou juste seuls ?"

Restait le jeune Florian d'Andrézy. Il était candide, adorable, charmant...jeune...

Un seul mot en rouge conclut son affaire : "Immature".

Alors ?

Alors, il restait à la cocotte des amis et des amants.

Mais des amoureux ?

A voir...

Les comptes étaient terminés.

Moins de lingerie, moins de fiacre, moins de beauté, moins de parfum, moins de bijoux...moins de tout...

Et moins d'amour ?

Il fallait garder les pieds sur terre.

Dans une colonne, deux noms étaient entourés de mille arabesques, ceux de Hélène et de Charles, et ils valaient tous les cadeaux du monde.