17 mars - 11 heures
Le lit était doux, un nid chaud et agréable, profond comme un vaste tombeau. Les odeurs légères et volatiles de la chambre rappelaient le bain dans lequel la femme avait patienté quelques minutes plus tôt. Il pleuvait dehors et le bruit des gouttes frappant les vitres la berçait.
" Te faut-il des fleurs pour égayer ta chambre ?"
Une voix susurra à son oreille et la femme sourit. Les yeux encore fermés, elle s'étira, attendant la caresse qui ne devrait pas tarder.
Et elle ouvrit les yeux en poussant un cri outré.
" TU AS LES MAINS GLACEES !
- Il fait froid dehors, la belle."
André Laroche s'assit sur le lit de la cocotte et la contempla en souriant, goguenard. Gabrielle se tenait redressée, les mains cachant les seins et la beauté chiffonnée.
" Ma voiture m'est revenue ce matin à une heure indue. Elle est saine et sauve. Sans aucune rayure. Je t'en remercie, Gabrielle.
- C'est normal. C'est une jolie voiture.
- Certes. J'ai appris par son conducteur la totalité de vos aventures.
- N'est-ce pas ?"
La femme se leva et, dévoilant sans honte sa nudité, elle déambula dans la chambre. Ses fesses étaient douces. M. Laroche ne les connaissait que trop bien. Il les aimait. Ses seins étaient petits mais se glissaient à merveille dans la paume d'une main. Il les sentait encore sous ses doigts.
Cherchant à conserver sa dignité, l'homme croisa ses mains devant lui.
" A une heure indue ! Arsène Lenormand était plus que soulagé de t'avoir retrouvée.
- Vous avez eu tort d'avoir autant peur pour la voiture," claqua la femme, agacée de ces nouveaux reproches.
Laroche se leva et en quelques pas, il se retrouva devant la petite cocotte. Cette fois, c'était la colère qui le portait.
" Tu crois que c'est la voiture ? Tu le crois vraiment Gabrielle ?
- Quoi d'autre ?, grogna la femme.
- Mais que tu es gourde ! TOI ! C'est pour toi qu'on s'inquiétait !
- Moi ?"
Le riche industriel et séducteur reconnu saisit la femme et la serra contre lui. Il soupira en sentant le corps ferme contre le sien et le parfum de la cocotte apaisa ses sens.
" Oui. Toi. Maudite femme !"
Gabrielle le serra à son tour et murmura :
" Je vais bien.
- Dieu en soit remercié !
- Et nous ! Nous avons poussé la voiture et changé une roue ! Sais-tu que ton cric est dur à utiliser ?
- Non, je ne sais pas. Je n'ai jamais crevé."
Laroche était calmé. Il obéit à la femme qui le força à s'asseoir à nouveau sur le lit. Gabrielle s'habilla devant lui tout en racontant par le menu toute l'aventure.
M. Lenormand lui avait déja conté l'essentiel, mais M. Laroche écoutait religieusement la femme qu'il avait eu tellement peur de ne pas revoir.
La forêt, la boue, la roue, le chat, le plan faussé, le sanatorium introuvable, la pluie...
Son ami, le chef de la Sûreté, avait évoqué plus qu'il n'avait raconté les retrouvailles. Son arrivée au One-Two-Two, malgré l'heure tardive. Le policier avait forcé la porte du bordel, il avait envahi les lieux avec une froide détermination. Puis, enfin dans la chambre de la cocotte, il n'avait rien dit. Il avait juste pris Gabrielle dans ses bras. L'avait gardée là durant plusieurs minutes.
Et cette gourde n'avait rien compris !
Ou alors, elle les manipulait tous à merveille.
Laroche connaissait la femme, il l'avait vue à ses débuts. Actrice née et joli minois.
" Et ce greffier ? Il se cache où ?, demanda l'homme.
- Il a élu domicile dans la lingerie de Madame. Ce chat est une chatte. Elle s'appelle Poulette.
- Une Poulette chez les cocottes. C'est bien trouvé.
- N'est-ce pas ?"
Gabrielle était habillée. Propre, bien coiffée, elle était belle à damner un saint. Ou un policier. Ou un prince russe. Ou un ambassadeur hongrois. Ou un détective américain. Ou un chasseur. Ou un légionnaire. Ou même un riche industriel.
La cocotte vint le chercher et lui saisit les mains.
" Tu m'emmènes déjeuner ? Je meurs de faim !
- Bien entendu, Gabrielle. Mais je suis au regret de t'apprendre que la voiture est pour l'instant en révision. Un petit souci de boue, vois-tu.
- Ah ? Tu m'en diras tant !"
La femme souriait adorablement et Laroche secoua la tête, autant amusé que dépité.
"Te rends-tu compte, Gabrielle, qu'aujourd'hui tu n'as même pas besoin de réclamer des haïkus ? On te les offre de bon coeur ?
- Evidemment. Cela fait partie de mon prix !
- Voyez-vous ça !"
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