31 mars - 19 heures
Gabrielle du Plessis se déhanchait sur la scène des Folies Bergères. C'était son premier soir et c'était sa première fois.
Un parterre de curieux ne la quittait pas des yeux.
Colette se tenait à côté d'elle et les deux femmes se tenaient par les mains. Elles dansaient de concert et levaient haut la jambe.
Colette chantait et Gabrielle l'accompagnait. Les spectateurs applaudissaient.
Voilà huit’s qui sonnent
C’est dimanch’ mon coco
Déjà l’soleil rayonne
A travers les rideaux
J’ai touché ma quinzaine
Si tu le veux tantôt
Nous irons à Vincennes
Dîner au bord de l’eau
Vite en bas du lit
Pass’moi mes habits
Et j’tons du jus dans Paris
R : Caroline, Caroline
Mets tes p’tits souliers vernis
Ta rob’ blanche
Des dimanches
A chaque refrain, un habit disparaissait. Les bras se montraient, les jambes et les cuisses. On sifflait, on appelait, on applaudissait.
Colette faisait des mines et Gabrielle se cambrait bien fort pour retirer son corset. L'apparition de ses petits seins hauts pointus fit rougir des visages.
Colette lui fit un clin d'oeil en reprenant la chanson.
Et ton grand chapeau fleuri
Caroline, Caroline,
T’arrêt’ pas comm’ ça en ch’min
March’plus vite
Ma petite
Tu vas nous fair’ rater l’train
Installons nous ma chère
Sur le bord du talus,
Mets un journal par terre
On va manger là-d’ssus
Pourquoi qu’tu fais la tête
Tu n’as qu’à fair’ comm’ moi
Quand on n’a pas d’fourchette
On mange avec les doigts
T’as fini déjà
Ah ! quel estomac
Où qu’t’as donc fourré tout ça.
Après le corset, les jupons et la robe, il ne restait que les dessous.
Et Gabrielle apparut nue et fière de l'être. Sa longue chevelure brillait aux lumières des projecteurs et la musique s'éteignait doucement.
R : Caroline, Caroline,
On a tout d’mêm’ bien dîné
Plus personne
Viens mignonne
C’est l’moment d’aller s’prom’ner
Caroline, Caroline
Les p’tits oiseaux font cui cui
Sur la mousse
Fraîche et douce
Moi je l’ferai bien aussi
Mais là-bas y’a la fête
J’entends l’accordéon
Prépare tes gambettes
On va faire un Boston
J’cède à tous tes caprices
J’te paie un mirliton
Colette et Gabrielle recevaient un tonnerre d'applaudissements. C'était un franc succès.
Les deux femmes s'inclinèrent et disparurent dans les loges. Non sans avoir bien montré leurs fesses, fermes et rebondies.
Colette lança à sa compagne, une fois assise devant leur coiffeuse :
" Tu vois ? Un soir comme ça par semaine et adieu le One-Two-Two !
- Pourquoi pas ? Cela fait réfléchir..."
Oui cela faisait réfléchir.
Surtout en voyant arriver le patron avec le cachet de la soirée. Ce n'était pas une somme phénoménale, cela ne payait pas grand-chose, mais c'était de l'argent qui ne venait pas de Madame Germaine.
C'était l'argent de la liberté !
Le patron déposa un bouquet de glaïeuls devant les deux femmes en souriant.
" On a déjà fait des émules. C'est pour la Gabrielle !"
Une petite carte se cachait parmi les fleurs.
" Joli spectacle, jolies gambettes. Je voudrais les avoir rien que pour moi.
André"
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