1er avril - 11 heures
Pour la première fois, les portes de la Sûreté ne s'ouvraient pas devant Gabrielle du Plessis.
Devant la cocotte se tenait l'inspecteur Javert, les bras croisés et la mine sombre.
" Non.
- Comment ça, non ?
- Non, comme non.
- Je t'en prie ! C'est monsieur Lenormand qui t'a donné cet ordre idiot ?"
Javert se frotta les yeux et fut obligé d'avouer :
" Non. Il ne sait pas que tu es là.
- AH ! Je peux donc entrer et tu vas me laisser passer.
- Gabrielle. Non.
- Pfuit !"
La cocotte se plaça tout contre l'inspecteur et celui-ci recula de plusieurs pas. Sur le qui-vive.
" Merde ! Tu vas d'abord me vider tes poches !
- Sérieusement ?
- Je dois vraiment te rappeler ce qu'il s'est passé l'année dernière ? J'ai passé trois jours à patrouiller dans les rues de Paris avec un POISSON dans le dos !"
Gabrielle prit un air contrit, elle posa ses deux mains sur sa bouche, les larmes brillant au coin de ses yeux.
" Je suis terriblement désolée. Je ne le ferai plus, je le promets.
- Tu as passé l'âge des poissons d'avril. Gabrielle, enfin !
- Je le promets ? Il me manque, tu sais ? Ne fais pas ton méchant !"
Javert tira sur ses favoris, agacé au plus haut point.
" Et il t'a réclamée ce matin. Merde !"
Gabrielle entra et embrassa son ami le cogne sur la joue.
Aussitôt celui-ci s'examina sous toutes les coutures, faisant rire la cocotte.
Dans les couloirs de la Sûreté, ce fut la même scène qui se répéta. On regardait passer la femme avec des froncements de sourcils remplis de méfiance.
Gabrielle souriait et saluait de la main.
Avec une réelle surprise, elle reconnut l'officier chargé de surveiller le couloir vide devant le bureau de M. Lenormand.
" Inspecteur Puchot ! Vous êtes de retour ! Hooo ! J'en suis fort aise ! Vous m'avez manqué."
Puchot rougit, ébahi de se retrouver embrassé à son tour. Il aperçut le sourire goguenard de Javert et ne le comprit pas.
" Je vais voir M. Lenormand, ne m'annoncez pas ! C'est une surprise !
- Heu, madame... Il est en réunion.
- Comme toujours. Je vais me faire toute petite, on ne me remarquera même pas.
- Ben..."
On la remarqua. Evidemment.
Vu qu'elle embrassa le chef de la Sûreté, salua tous les commissaires par leur petit nom et sortit d'un panier une multitude de petits poissons en chocolat qu'elle déposa sur une jolie nappe brodée. Les papiers officiels tombèrent sur le sol, les dossiers furent vivement repoussés. Des biscuits en forme de poisson et du thé bien chaud achevèrent la dînette.
" On est un peu plus nombreux que prévu, annonça fièrement la cocotte, mais qui veut un poisson ?"
Respectueusement, comme à l'école, les imposants policiers à moustache levèrent la main. L'un d'entre eux, plus hardis que les autres, demanda s'il pouvait aussi avoir la poissonnière.
Il fut foudroyé du regard par le chef de la Sûreté.
" Un peu de tenue, commissaire, vous n'êtes pas à Montorgueil !
- Dommage. J'y ai un large bureau."
La cocotte se mit à rire. Elle passa derrière chacun des officiers pour les servir. Elle s'assit ensuite tout près de M. Lenormand et le regarda travailler.
Il avait de l'autorité, le fameux chef de la Sûreté, et il tenait ses hommes.
Plus tard, elle retrouva l'inspecteur Javert qui l'applaudit sans aucune aménité.
" Vingt poissons de placés ! De la belle ouvrage !
- Puchot a trouvé le sien ?
- Non. Je le lui dirai dans trois jours, s'il ne l'a pas trouvé d'ici là.
- Et le tien ?
- QUOI ?
- Bonsoir, inspecteur."
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