Quand une cocotte songe à ses oeufs...
C'était le dimanche de Pâques et la journée était belle.
Il fallait rester assise et silencieuse dans la pénombre de l'église. On priait et on demandait pardon à Dieu.
La cérémonie de Pâques célèbrait la Résurrection du Christ. Il fallait prier, communier et se confesser.
Le prêtre desservant la paroisse de Ménilmontant était pâle d'effroi à l'idée de confesser les pensionnaires du One-Two-Two. Il les connaissait depuis des années et c'était un terrible sacerdoce que de se charger de l'âme de ces brebis égarées.
Il les contemplait tour à tour et en avait peur.
Madame Germaine se chargeait de son troupeau avec la fermeté d'une gardienne d'oies. Suzy n'avait pas eu le droit de porter son voile de messe, Louison et Margot se tenaient à genoux et levaient des yeux larmoyants vers le Christ en croix.
Mathilde luttait contre l'endormissement, son missel glissait de ses doigts.
Quant à Gabrielle, elle priait de son mieux. Sinon ses pensées voguaient ailleurs, elle se souvenait des bras de Jim, du sourire d'Arsène, des yeux d'Etienne, de la douceur de Florian, de l'exubérance d'Alexei, de la force de Luis... Elle priait de son mieux, mais ce n'était pas assez manifestement.
Grillée, Gabrielle reçut un coup de coude dans les côtes de la part de Madame Germaine.
" Soyez à ce qui se passe, Gabrielle ! C'est Pâques tout de même !
- Oui, madame.
- Dites madame, fit Suzy de sa voix haut perchée, on va de nouveau décorer des oeufs cette année ?
- Oui, Suzy. Il faut en offrir à nos clients voyons.
- C'est sûr qu'ils viennent pour bouffer des oeufs, assura Mathilde. Pas pour autre chose."
On pouffa de rire et le curé leva la tête vers son troupeau.
Les filles baissèrent la leur et se remirent à leur dévotion. Suzy déclamait la prière de la Passion du Christ avec un talent d'actrice née. En latin en plus.
Gabrielle soupira et se frotta les yeux, immensément fatiguée.
Puis elle songea à ses oeufs qu'elle allait décorer l'après-midi même. Elle allait en offrir un à chacun de ses amants, ainsi qu'à sa chère Liane de Pougy. Chaque oeuf sera accompagné d'un petit mot doux et rempli d'amour. Voire de bites.
" Madame ! Vous pensez que je dois confesser au curé la fois où j'étais cachée dans le confessionnal avec monsieur de Jussac et que je le suc...
- Tais-toi Suzy ou je te gifle !"
Tout le monde se retourna vers les dames du One-Two-Two.
Et ces dames affichaient un air de belle indifférence, empli de dignité.
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