11 avril - 10 heures
C'était enfin le printemps ! Paris était beau sous le soleil d'avril, doux et agréable. Les pavés resplendissaient de la dernière pluie. L'air sentait le propre et le neuf.
Les passants souriaient en déambulant dans les rues.
Gabrielle du Plessis inclinait la tête pour saluer de la manière la plus charmante possible.
Elle étrennait une robe de printemps, toute de voilage et de dentelle. Les rubans de son chapeau dansaient dans la bise. Elle portait son habituel panier sous le bras et souriait élégamment.
Une belle femme marchait dans les rues de la capitale en direction de la sinistre Sûreté.
Les policiers présents à la garde de la porte la regardèrent entrer avec attention. On connaissait bien la poule du chef et malheur à celui qui l'empêchait de passer son chemin.
Un seul s'opposa, mais en affichant un sourire bienveillant.
" Il n'est pas là, madame.
- Je sais, inspecteur. Il est en réunion, comme toujours.
- Oui, madame. Mais je peux vous laisser attendre dans le couloir comme d'habitude.
- Alors agissons comme d'habitude."
Seulement, d'habitude, l'inspecteur de faction était l'inspecteur Puchot et là, l'inspecteur Puchot n'était pas là.
La cocotte en fut désappointée.
" Mais où est l'inspecteur Puchot ?
- Il a repris son poste, madame. Il a été déplacé et ne revient que pour faire des remplacements.
- Zut ! J'ai besoin de le voir aussi.
- Ha ?, fit l'homme tout étonné. Pourquoi cela ?
- C'est un secret !"
L'inspecteur de faction, un dénommé de Ligniville, accompagna la cocotte jusque dans le bureau des inspecteurs. On regarda passer la dame, toute belle et toute parfumée, dans les couloirs humides. Elle marchait, légère et jolie.
La femme se dirigea aussitôt vers l'inspecteur Puchot. Ce dernier la regarda agir, sans comprendre. Elle lui sourit avec beaucoup de douceur.
" Madame ? Mais..."
Sur le bureau de l'inspecteur Puchot se retrouva le panier et la cocotte en sortit plusieurs confiseries joliment enrubannées. Elle tendit un oeuf doré au policier.
" Voilà pour vous, inspecteur. Vous avez eu la gentillesse de porter mes malles, je vous en suis reconnaissante."
Puchot resta interdit et répondit maladroitement :
" C'est que je suis marié, madame, et j'ai des mômes. Alors si ma bourgeoise apprend que..."
Aussitôt, Gabrielle sortit plusieurs oeufs de même nature et s'exclama :
" Des enfants ! A la bonne heure ! Vous ferez la distribution !"
Puchot, vaincu, ne put rien contre la volonté de la cocotte. Ses collègues vinrent l'entourer et se retrouvèrent dotés chacun de petits poissons en chocolat.
Un seul ne se leva pas et ne vint pas participer à la réunion impromptue. Ce fut Gabrielle qui vint le dénicher. Elle s'accouda à son bureau et le regarda faire semblant d'écrire un rapport.
" Bonjour, inspecteur Javert.
- Bonjour, Gabrielle du Plessis. Te voilà en pleine représentation, je savoure.
- Fi ! J'ai un cadeau pour toi."
L'oeuf était volumineux, peint en blanc et noir, il portait des favoris. Il fit sourire Javert.
" Bon. C'est pour quoi cette fois ? Corruption d'agent de la force publique ?
- Pour te remercier. Tu as été bath et tu m'as bien aidé.
- Tu as aimé ma pélerine, la joliette ?
- Je la porterai la prochaine fois que je serai arrêtée par tes flics, monsieur l'inspecteur-principal.
- Magnifique ! Une cocotte chez les poulets ! Ca va faire jaser !"
Les deux amis se regardèrent et Javert hocha la tête.
" Tu m'as fait peur et je n'aime pas ça. La prochaine fois, je te menotte au bureau du daron de la raille. A bon entendeur.
- Oui, inspecteur."
Gabrielle souriait, reconnaissant bien là son ami de toujours.
" File ! Il doit savoir que tu es là et doit s'inquiéter !"
La cocotte sourit et se recula. Avant de disparaître, elle lança à Javert :
" Au fait, tu as trouvé ton poisson ?"
Javert se leva et hurla :
" DEHORS LA MÔME ! OU JE TE COLLE AU MITARD !"
A cet instant, la porte du bureau des inspecteurs s'ouvrit et M. Lenormand apparut.
" Mais que fais-tu ici, Gabrielle ? Et quels sont ces hurlements ?!
- C'est monsieur l'inspecteur Javert, il n'aime pas le flottant !"
Lenormand contempla Javert, l'inspecteur resta droit et fier. Gabrielle s'approcha du chef de la Sûreté et lui demanda à son tour :
" Et toi ? Tu as trouvé ton poisson ?
- QUOI ?, fit M. Lenormand, indigné.
- C'était juste un petit maquereau, là. Sur ton omoplate."
Les policiers attendirent la réaction de leur susceptible de chef. Mais ce dernier retrouva le sourire et répondit :
" J'espère qu'il était bien assorti à la petite sardine que j'ai déposée dans ton chapeau."
Gabrielle resta muette, puis elle se mit à rire et embrassa son amant.
" Voilà que je suis touchée. Ton oeuf, mon ami, pour te remercier de tes soins pour moi."
M. Lenormand reçut un petit oeuf argenté, tout enrubanné et décoré de coeurs dorés.
Mais cela ne valait pas le sourire attendri de Gabrielle et ses yeux brillants de joie qu'elle posait sur lui.
Et qui ne le quittaient plus.
Javert soupira et s'assit à son bureau. Cherchant désespérement des yeux un petit poisson de papier qui aurait pu échapper à sa vigilance.
Il découvrit un petit requin caché dans les plis de son long manteau d'uniforme de police...
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