Suzy frappa à la porte de la chambre de Gabrielle et, comme à son habitude, elle n'attendit pas avant d'entrer.

La cocotte se tenait encore en déshabillé devant sa coiffeuse et se parfumait.

" Que se passe-t-il ? Madame a encore une de ses lubies ?

- Non ! Courrier pour toi, madame du Plessis !

- De qui ?," fit négligemment la femme en brossant ses longues boucles pour leur donner du volume. M. Lenormand adorait voir sa nuque et embrasser ses petites boucles égarées.

" La légion a besoin de toi. Ou de ton cul, c'est tout comme," se moqua Suzy.

Gabrielle pouffa de rire et saisit le message.

" Le capitaine du 4e Régiment Etranger ordonne à Mme Gabrielle du Plessis, artiste lyrique, domiciliée chez Madame Magloire, de se rendre en mission au Fort de Vincennes pour une réunion technique. Un taxi viendra chercher Mme du Plessis ce jeudi 13 avril à 11 heures.

Les frais de mission seront imputés sur le budget du ministère de l'Armée de Terre.

Fait à Paris,

Le 12 avril 1910,

Signé,

Le capitaine DON LUIS PERENNA"

" Bon. Il ne faut pas que je traîne dans ce cas, asséna la cocotte. On doit avoir besoin de mon cul, en effet.

- En effet."

Et pourtant, on n'avait pas besoin de son cul, mais de ses yeux.

Un capitaine sombre et ennuyé accueillit la cocotte à son bureau à la caserne. Après les embrassades et les caresses, il expliqua la fameuse mission technique à Gabrielle du Plessis.

" On te voit souvent dans les ambassades, Gabriella. Tu connais du monde et tu entends beaucoup de choses.

- Sur l'oreiller, tu veux dire ? J'entends surtout des gémissements de plaisir et des mots d'amour, tesoro.

- Tu connais Hugo von Radolin, l'ambassadeur allemand ?

- Oui. Mais je ne connais pas ses soupirs de plaisir à lui. Je ne peux pas te dire.

- Connais-tu Mata-Hari ?

- Mhmmmm. De quoi parlons-nous exactement, mi querido ?

- De la France, de l'Allemagne et de haute trahison...

- Dis-m'en plus !"

Gabrielle écouta et accepta la mission.

Sur son ordre, on ajouta : " Les Autorités françaises, civiles et militaires, sont priées de faciliter à Mme du Plessis l'accomplissement de sa mission."

Car elle était une bonne patriote !