14 avril - 13 heures
" Mon Dieu, André. Que vas-tu me faire faire encore ?
- De quoi, ma chérie ? Tu n'as pas peur tout de même ?"
Une gifle sur un bras trop possessif fit rire le riche industriel. André Laroche souriait, sûr de lui et de sa force.
Gabrielle du Plessis le contemplait, hésitant entre l'indignation et le baiser. Elle opta pour le baiser. Laroche en fut décontenancé.
" Non, je n'ai pas peur.
- Alors ?
- Je ne sais pas ramer.
- Qu'à cela ne tienne ! Tu ne savais pas conduire une voiture, faire du vélo... Te voilà canotière !
- Je ne sais plus si je t'aime ou si je te déteste, André."
Un profond baiser fit chavirer le coeur de la cocotte et André Laroche fronça les sourcils en la tenant contre lui.
" Tu m'aimes, évidemment.
- Me faire monter là-dessus, André !
- Et pagayer !
- Mon Dieu ! Je relève d'une terrible maladie, tu sais ?
- Oui, fit nonchalamment André Laroche. Et tu es plus forte que jamais.
- Je te déteste !
- Ou alors, tu es une trouillarde ! Je peux le comprendre !
- On tient comment sur ce...ce...radeau ?"
André Laroche aida la femme à s'asseoir dans le canoë. Il s'amusait follement des airs empruntés de Gabrielle et l'installa au mieux. Il s'assit derrière et put ainsi se rassurer quant à sa compagne. Gabrielle avait peur, certes, mais elle se tenait courageusement droite et déterminée. Cela devenait une question d'orgueil. A lui d'en faire une source de plaisir.
La Seine était belle, il faisait beau et les flots paressaient sous le soleil. Un temps idéal pour effectuer une petite promenade sur le fleuve en canoë. Il s'agissait d'une périssoire, un canoë de bois d'environ huit mètres de long. Quelques planches qui flottaient sur l'eau. On manoeuvrait la périssoire à la pagaie double.
Son nom seul était révélateur, cette embarcation était extrêmement instable et périlleuse.
Et c'était là tout le sel de la promenade !
Gabrielle s'efforça de parler calmement, mais les mouvements intempestifs du bateau faisaient trembler sa voix :
" Tu es sûr qu'on peut naviguer sans problème ? Il y a de gros bateaux sur la Seine...
- Oui, ma chérie. Fais-moi confiance !
- Dieu soit témoin que si je tombe à la baille, je te tue !
- Gabrielle, Gabrielle, Gabrielle ! Si tu tombes à la baille, je ne crois pas que ce soit toi qui me tueras !"
D'une forte poussée sur le bord maçonné du quai de la Seine, André fit partir le bateau et Gabrielle serra les mâchoires pour ne pas crier.
" Je pense que ce sera Arsène, ajouta Laroche.
- Mhmmm. Pas sûre, ils viendront tous te faire la peau.
- Mon adorable Gabrielle ! Ouvre les yeux et regarde ! Nous avançons et la Seine est belle !"
Gabrielle grommela quelques mots bien sentis.
Laroche lui expliqua les manoeuvres de base à utiliser. Il fallait être synchronisés et pagayer en rythme. Il fallait redresser en permanence le canoë qui était entraîné par le courant. Il fallait pagayer d'un côté, puis de l'autre. Il fallait savoir tourner pour aller droit.
Il fallait simplement suivre son instinct.
Gabrielle du Plessis serra les dents pour ne pas hurler des insanités, elle manoeuvra la pagaie de son mieux, elle détesta cordialement André Laroche.
Puis, elle ouvrit les yeux, elle vit Paris et la Seine, elle sentit le bateau prendre de la vitesse.
Et elle oublia d'avoir peur.
André Laroche sut qu'il avait atteint son objectif lorsqu'il vit le dos de la femme se détendre et ses mouvements devenir moins mécaniques. Il en fut certain lorsqu'il l'entendit rire en saluant les autres canotiers.
Plusieurs périssoires se promenaient sur la Seine.
Gabrielle se tourna vers André et lui jeta :
" On fait la course ?
- Avec plaisir, ma chérie."
André Laroche prit bien soin de manoeuvrer habilement le canoë. De sa place, il jouait les gouvernails. En avril 1904, le Yacht Club de France du Canoë Club avait été créé à Paris par Albert Glandaz. Bien évidemment, André Laroche en faisait partie et il participait régulièrement aux courses organisées par le Yacht Club.
Aujourd'hui, ce n'était qu'une petite promenade. Mais si Gabrielle en venait à apprécier le canotage...
L'industriel possédait un yacht, amarré sur les côtes normandes, qui lui servait à voyager et à courir les régates.
Les quais de Paris défilaient, les péniches passaient, les monuments n'étaient que des silhouettes...
" Comment s'appelle ce petit canot ? Je l'adore !, s'exclama Gabrielle.
- Une périssoire, ma chérie.
- Une QUOI ?
- PAGAYE ! Il y a les bateaux-lavoirs droit devant !"
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