La journée avait été épuisante, faite de neige et d'amour.

Gabrielle du Plessis savait maintenant skier, pas vite et pas longtemps, mais elle tenait droit et en était fière. Elle portait une robe fourrée et un bonnet de laine monstrueux. Son écharpe volait derrière elle avec quelques boucles non rousses.

Le froid rosissait ses joues et ses lèvres brillaient d'un baume protecteur magique. La toute nouvelle invention d'Oscar Troplowitz, le Labello. Etienne de Vaudreix lui en avait offert un tube et la belle en faisait une consommation intense.

La montagne était belle dans la nuit qui tombait sur la vallée.

Ce soir, nos héros étaient au village de Megève, attablés devant une spécialité culinaire que le chasseur voulait faire découvrir à sa compagne.

Gabrielle contemplait le plat. Une casserole de fonte était remplie de fromage fondu, odorant et appétent. Le plus étrange résidait dans le tas de petits morceaux de pain et les fourchettes longues et fines.

" Et cela s'appelle ?

- De la fondue. C'est un plat suisse, mais on en trouve dans toute la Savoie.

- Je meurs de faim !," s'exclama Gabrielle en saisissant une fourchette et un bout de pain.

Mais Etienne arrêta son geste et lui sourit.

" Non. Il y a des règles à respecter, ma douce.

- Des règles ? Je sais manger proprement, monsieur le chasseur de ragondins !

- Je sais !, rit Etienne. Ce sont des règles spécifiques à la fondue."

Les doigts de l'explorateur caressèrent ceux de la femme et Gabrielle comprit. Elle croisa ses mains devant elle et susurra :

" Des règles ? Voyez-vous ça !

- Il ne faut pas perdre son bout de pain dans la fondue, sinon..."

Gabrielle mordilla sa lèvre et Etienne reprit son souffle.

" Sinon on a un gage !

- Hoooo !

- En Suisse, il est d'usage de faire payer le vin à celui qui perd son morceau de pain.

- Payer le vin ? Je n'ai pas d'argent, tesoro."

Gabrielle caressa tendrement les doigts d'Etienne et ce dernier les amena à sa bouche pour les embrasser.

" Pas d'argent. On peut s'arranger.

- D'autres règles ?

- Par le passé, lors d'une orgie de fondue, on imposait des gages particulièrement sévères, on frappait celui qui faisait tomber son morceau de pain avec un bâton, un fouet ou alors on le jetait dans le lac de Genève avec des chaînes aux pieds.

- QUOI ?"

Gabrielle se redressa.

Elle plissa les yeux et rétorqua :

" Je ne te crois pas ! Va pour le vin !

- Tu paieras comment, ma douce ?

- Mhmmm. Je connais plusieurs manières de rembourser une dette. Cela dépend de ce qu'aime le créancier.

- J'aime tout. Ce sera dur de choisir.

- Si je gagne, tu devras me..."

Là, Gabrielle se pencha et murmura quelques mots précis dans le creux de l'oreille de son compagnon. Celui-ci rougit à son tour.

" Gy ?, demanda en souriant la cocotte.

- Gy, mais tu ne gagneras pas, ma Gabrielle.

- Oui, oui. On verra."

A la fin de la soirée, Etienne avait perdu trois bouts de pain, miraculeusement échappé de sa fourchette. La cocotte n'en avait perdu aucun.

Gabrielle était experte en mikado. Arsène Lenormand le lui avait appris.