21 avril - 13 heures

3 minutes de lecture

Gabrielle du Plessis était fière d'elle. Fière du regard admiratif de son compagnon.

Elle ne savait pas bien conduire, pas bien ramer, pas bien skier, elle avait peur de beaucoup de choses et essayait de se montrer courageuse.

Petit bout de femme qui luttait pour survivre et paraître !

Mais là ! Elle se savait belle et admirable.

Gabrielle du Plessis savait patiner et ça, Etienne de Vaudreix ne le savait pas !

L'homme restait debout, sur la patinoire et contemplait sa compagne virevolter autour de lui. Prendre de la vitesse et tourner. Danser et sourire.

Le chasseur émérite pensait jouer les professeurs et tenir amoureusement sa dame par la taille, murmurer des conseils et la protéger de la chute.

Que nenni !

Gabrielle était un feu follet sur la patinoire de Megève et il ne pouvait pas la suivre.

Etienne se lança et réussit à se placer à sa hauteur.

" Comment as-tu appris à patiner ainsi ?

- L'hiver 1895, la Seine était gelée et j'ai patiné dessus !

- Tu étais toute jeune alors."

Gabrielle sourit sans répondre. Adorable Etienne !

Elle n'était pas toute jeune alors.

Le patinage avait été un dérivatif bien venu dans une vie faite de travail et de tristesse.

Dans sa province natale, Gabrielle avait appris à patiner.

Les montagnes...

Elle avait grandi entourée de montagnes, certes pas les Alpes, mais le Jura était un beau massif tout de même.

Gabrielle s'interdit de penser plus loin et se concentra sur la vitesse. Elle doubla Etienne de Vaudreix et les quelques touristes présents la regardèrent prendre des risques avec inquiétude.

Le chasseur ne se laissa pas distancer et suivit le rythme endiablé.

Quand soudain, le tocsin retentit.

Gabrielle du Plessis fit un écart et, Dieu merci, contrôla assez ses mouvements pour ne pas faire de chute. Etienne la rejoignit et lui saisit la taille.

Le tocsin retentissait et chacun se regardait, alarmé.

Puis des hommes apparurent, armés de chiens et longs bâtons.

" Merde ! Une avalanche !, souffla Etienne.

- Une avalanche ?," murmura Gabrielle, pâle de peur.

De fait, dans la montagne, on entendit tout à coup un grondement menaçant. Ce fut le branle-bas de combat et chacun s'enfuit. Un panache blanc formait un halo menaçant autour des cols des environs.

" Merde, merde, merde !"

Etienne prit la main de Gabrielle et tous deux quittèrent la patinoire à ciel ouvert.

Le chasseur avisa les hommes équipés pour sauver des vies. On le reconnut et un des guides s'approcha :

" Etienne ! On a des gens plus hauts sous la neige. On y va !

- Le refuge de Lachat ?

- Oui. Sous la neige qu'ils sont."

Sans réfléchir un seul instant, l'homme fit un pas en avant :

" J'en suis !"

Puis, Etienne se tourna et aperçut les yeux de sa compagne, agrandis par la terreur. Il hésita.

Gabrielle comprit et sourit maladroitement :

" Je vais rester à l'hôtel du Soleil d'Or. Ils accepteront bien de me garder.

- Oui. Mais je ne veux pas que tu restes seule ici. Si jamais..."

Etienne de Vaudreix hésitait et les guides s'impatientaient. Il y avait des vies à sauver tout là-haut et il ne fallait pas perdre de temps.

Etienne de Vaudreix le savait bien, il était membre de la Société de Secours en montagne d'Annemasse, la première créée dans les Alpes en 1897. Il avait appris à sonder la neige avec le long bâton et à utiliser les chiens de secours, les Saint-Bernards.

Gabrielle prit de l'assurance et repoussa son homme.

" Va sauver des vies et reviens-moi vite !

- Oui. Je...je reviendrai...

- Tu as intérêt, je t'aime trop, tesoro, pour te perdre."

Ce furent les bons mots.

Etienne de Vaudreix saisit un bâton et suivit les guides-sauveteurs sans regarder en arrière.

Plus haut dans la montagne, de nouveaux panaches de neige et de souffle coiffaient les cols. Le Mont-Blanc devenait menaçant.

Le tocsin reprit et Gabrielle se précipita dans l'hôtel.

Ses affaires étaient restées là-haut dans le refuge d'Etienne.

La cocotte se redressa et fit tout pour cacher sa détresse.

L'aubergiste lui servit un chocolat chaud et chacun gardait les yeux fixés sur la montagne, devenue un piège mortel.

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