Les cheveux étaient lâchés et voletaient dans son dos. Les boucles non rousses étincelaient au soleil de mai.

A chaque boutonnière brillait un brin de muguet entouré d'un ruban rouge.

On chantait et on levait le poing sur la place. Avenue de Madrid, des barrages policiers bloquaient le passage.

Paris se vêtait de rouge et hurlait sa colère.

1er mai 1910, que ce soit en Belgique, en France ou aux Etats-Unis. Le Labor Day rappelait les fameuses grèves américaines de mai 1886, à Chigaco. L'affaire du Haymarket et les syndicalistes condamnés à mort...

" CHANTE GABRIELLE, CHANTE !"

On hurlait et Gabrielle chantait.

"Le Temps des Cerises" sonnait la fin d'un monde ! Le 1er mai était la fête du Travail et le moment des revendications.

" PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS ! UNISSEZ-VOUS !"

Gabrielle chantait et dansait. Les barricades n'étaient plus mais la rancoeur était toujours là.

Alexeï Sernine avait tort de croire que Gabrielle ne connaissait pas la vie. Elle ne la connaissait pas, elle la subissait !

Clemenceau avait dit : « Que voulez-vous que je fasse entre Caillaux qui se prend pour Napoléon et Briand pour Jésus-Christ ! »

Les slogans se faisaient durs et on réclamait la démission.

" A BAS BRIAND ! LE BRISEUR DE GREVES !"

L'éminent pacifiste, l'abolitionniste de la peine de mort, le socialiste révolutionnaire...

Briseur de grèves, le président du conseil l'était bel et bien. Les grèves se succédaient au rythme des mois et des années, Courrières et Fourmies rappelaient le carreau baigné de sang et de haine, les cheminots se battaient pour améliorer leurs conditions de vie et de travail, les fonctionnaires, les enseignants, les employés, les ouvriers... L'extrême-droite jetait de l'huile sur le feu et Paris s'enflammait.

Les voix de la CGT parlaient et revendiquaient.

" POUR UN MONDE MEILLEUR !"

Gabrielle du Plessis, vêtue simplement, les cheveux lâchés et une écharpe rouge autour de la gorge, criait et se brisait la voix.

Car les femmes méritaient et se devaient d'avoir ! Hubertine Auclert, alors âgée de 60 ans, s'était présentée aux élections législatives le 24 avril 1910, avec ses compatriotes, Marguerite Durand, Renée Mortier et Gabrielle Chapuis. Leur candidature n'avait pas été retenue, mais il fallait montrer que la femme luttait à égalité avec les hommes.

" AU COMBAT !"

Gabrielle chantait, dansait, hurlait.

Avenue de Madrid, à Paris, se tenait un barrage des forces de l'ordre. Les policiers en grande tenue attendaient fermement les manifestants.

On se rencontra, on se regarda.

Le peuple face à l'Etat.

Les policiers restèrent plantés devant leurs barrages.

Les manifestants restèrent à les observer, chantant et revendiquant.

Une étincelle suffirait à enflammer les esprits.

Il suffit d'un cri, d'une insulte...

Grève, manifestation, oubliée de l'Histoire...

Parmi la foule en colère, une main saisit durement le bras de Gabrielle et la cocotte se retrouva jetée contre un mur. La joue frappant la pierre et les ongles griffant les briques.

Gabrielle ferma les yeux, attendant la suite de ce passage à tabac.

Une voix ordonna :

" Laisse ! Je m'en occupe !"

Gabrielle garda les yeux fermés, elle entendait les cris de ses camarades de manifestation. Ils s'éteignaient. Le calme revenait sur la ville.

" Gabrielle, tu es la femme la plus stupide que je connaisse !

- Et si nous avions raison ?!," murmura-t-elle, tandis qu'on la poussait dans une voiture grillagée.

Protégée par la pélerine de son ami, le flic, Gabrielle ouvrit des yeux remplis de rage.

" Vous avez raison, là ! Mais contre l'Etat ?! Tu penses faire quoi ?," jeta le policier.

L'inspecteur Javert était aussi en colère qu'elle.

" Lutter !"