2 mai - 18 heures
Madame ignorait ostensiblement Gabrielle. La cocotte pouvait aller et venir à son envie, personne ne la retenait.
Quelque part, c'était plus effrayant que les cris de colère.
La veille, l'inspecteur Javert était venu rendre sa pensionnaire au One-Two-Two, discrètement. Aucun rapport n'avait été formulé.
Gabrielle faisait profil bas et rêvait de Venise.
Ce fut Suzy qui vint l'effrayer.
La jeune femme entra sans frapper dans la chambre de la cocotte et s'était assise sans façon sur son lit.
" Tu sais que tu as du souci à te faire, Gabrielle ?, demanda aussitôt Suzy.
- Je dois de l'argent à beaucoup. Qui a réclamé un remboursement cette fois ? Le coiffeur ?
- Non, non, fit Suzy en secouant nerveusement sa tête. Il s'agit bien de ça."
Gabrielle ne voyait pas tellement de choses capables de l'effrayer. Elle pâlit.
" Que se passe-t-il ?
- Elvire est allée à l'ambassade de Russie ce matin. On l'attend toujours.
- A l'ambassade de Russie ?! Mais...
- Pour voir ton prince pardi ! Je suis désolée, Gaby."
Suzy disparut, toute triste de ces nouvelles.
Elle abandonna une Gabrielle, assise face à ses lettres de créance et terriblement seule. La cocotte prit machinalement sa brosse et entreprit de se charger de ses boucles.
Elle était petite, elle était indéniablement rousse, elle avait quarante ans passés...
Sa porte resta close toute l'après-midi et personne ne put la forcer.
Par contre, le soir venu, Suzy frappa tant et si bien que Gabrielle dut lui ouvrir. Charitable, Suzy ne releva pas la marque des larmes et la rougeur de la fièvre.
La jeune cocotte souriait largement.
" Elvire est de retour ! Veux-tu que je te dise ce que m'a raconté le cocher ?
- Je t'en prie, Suzy. Je ne suis pas en état de...
- Le prince Sernine a traité Elvire comme... Comme... Je n'ai pas de mots !
- Quoi ?"
Gabrielle s'assit sur le lit et se laissa saisir les mains par Suzy.
" Elvire était belle aujourd'hui. Elle a pris un fiacre et s'est fait déposer devant l'ambassade de Russie. Elle a demandé à voir le prince Sernine. On l'a laissée attendre trois heures ! Tu imagines ! TROIS HEURES !
- Pauvre Elvire..., murmura la cocotte, sans conviction.
- Puis, le prince l'a.."
Là, Suzy éclata de rire et Gabrielle sourit nerveusement.
" Le prince l'a reçue. Il l'a regardée puis il ne l'a pas laissée parler. Il lui a dit : " Madame, je n'ai pas pour habitude de recevoir des femmes en ces lieux. Vous êtes..." Ha ! Comment il a dit déjà ?!"
Suzy se gratta la tête.
Gabrielle souriait maintenant, elle était toute à son prince. Son Alexeï.
" Vous êtes importunante. Un mot comme ceci.
- Importune ?
- Ce doit être ça ! Ensuite, il l'a fait chasser par ses gardes par la porte de derrière en lui disant : " Madame, ne revenez pas ou je vous enferme dans mes geôles. En Sibérie."
Gabrielle posa sa main devant sa bouche et les larmes coulèrent à nouveau. De joie et de soulagement cette fois.
Suzy posa sa main sur son épaule et s'exclama :
" Il a vraiment des geôles en Sibérie ou c'est du chiqué ?
- Il est prince !
- Merde ! Epouse-le, ma Gaby ! Tu te vois en princesse russe ?"
Gabrielle du Plessis se releva, guillerette et rassérénée. Elle s'apprêta à s'habiller enfin, lorsqu'on frappa à la porte.
Un officier en uniforme de l'armée impériale russe vint déposer sur le sol devant Gabrielle une gerbe de roses rouges, imposant. Un message était visible.
La cocotte le prit.
" Moya zvezda,
La journée a été dure. Je t'attends à l'ambassade. Viens.
Ton Alexeï"
Gabrielle du Plessis posa contre son sein le message et ses yeux se posèrent sur l'officier.
" Juste une minute et j'arrive."
L'homme s'inclina et la cocotte se fit plus belle que jamais, aidée par une Suzy toute heureuse de faire ça pour son amie.
Une princesse russe ? Pourquoi pas ?
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