4 mai - 19 heures
La journée était terminée, le soir tombait sur la ville et les rayons du soleil se reflétaient sur les carreaux des fenêtres du salon.
Le jour se mourait dans un déluge de lumière.
Les clients étaient déjà là et se prélassaient sur les divans en compagnie de ces dames. On pouvait se croire dans une réunion bourgeoise.
Les conversations restaient guindées en attendant que vienne l'inspiration de la nuit. Quelques mains caressaient des épaules, mais c'était tout.
Les robes, toujours lacées, laissaient deviner ce que désiraient voir les hommes. On se souriait et on se jaugeait.
Gabrielle du Plessis écoutait avec attention les dernières nouvelles de l'Académie des Inscriptions et des Belles Lettres.
Quelques minutes plus tôt, un homme, vieillard digne et bienveillant, avait poliment demandé de s'asseoir face à elle.
Cela amusa la cocotte qui lui répondit que tous les sièges étaient libres pour les clients. Le vieillard s'assit et lança que c'était dommage qu'ils ne soient que pour ces derniers.
" A qui voulez-vous qu'ils soient réservés, monsieur ?
- Aux amis, madame, rétorqua l'inconnu.
- Aux amis ? Il y en a peu ici, monsieur."
Il lui prit la main et l'embrassa doucement.
" Alors laissez-moi le soin de devenir le vôtre, madame.
- Hoooo. Voyons ça.
- Je m'appelle monsieur Massiban et je suis de l'Académie.
- Je m'appelle Gabrielle du Plessis et je suis une pute.
- Chut, madame ! Vous êtes plus que ça. Une belle femme égarée par la vie.
- Peut-être serez-vous un ami, en effet.
- Vous voyez ? Et si je vous parlais de mes dernières recherches ?
- Faites, monsieur. Je promets d'être sage et attentive.
- Mais je l'espère bien ! Mes étudiants le sont tout autant !"
Cela fit sourire les deux personnages et monsieur Massiban secoua la tête avec dérision. Le vieil homme possédait un beau visage et des yeux espiègles, d'une eau claire et vive.
Monsieur Massiban avait mené des recherches actives sur le Livre d'Heures de Marie-Antoinette, il réussit surtout à subjuguer Gabrielle.
L'artiste lyrique cessa de faire semblant de s'intéresser pour réellement écouter son compagnon.
Monsieur Massiban caressa la main de Gabrielle et lui assura :
" Vous voyez ?! Vous êtes meilleure élève que mes étudiants.
- Marie-Antoinette et le comte de Fersen... Vous êtes passionnant, monsieur.
- N'est-ce pas ?"
Monsieur Massiban se rengorgea et Gabrielle cacha sa bouche pour rire.
Madame Germaine passa à cet instant et toisa les deux d'un air sombre. Derrière elle venait Elvire et cette dernière sourit sans douceur.
" Souhaitez-vous une promenade, ma chère amie ?, proposa le professeur.
- Amie, déjà ?, se moqua Gabrielle.
- Je n'ai aucune envie de monter dans votre chambre pour notre premier rendez-vous, mais je brûle de vous présenter Carnavalet et Marie-Antoinette.
- A cette heure ? Mais tout est fermé, monsieur.
- Pour moi, tout est ouvert, madame.
- Vraiment ? Vous m'impressionnez !"
Monsieur Massiban s'inclina et Gabrielle le trouva adorablement désuet. Elle se décida à accepter.
" Je vous suis, monsieur. Voyons si vous arriverez à vos fins !
- Mes fins ? Vous me prêtez de mauvaises intentions, madame !
- Des intentions d'homme, monsieur. Je ne suis pas si candide !"
Monsieur Massiban posa sa capeline sur les épaules de Gabrielle.
" C'est mon ami, le prince Sernine, qui m'a parlé de vous. Et j'avoue qu'il a éveillé ma curiosité. Je souhaitais vous rencontrer.
- Déçu ?, ricana Gabrielle.
- Agréablement surpris, j'avoue.
- Vous êtes adorable, monsieur.
- C'est parfait, je n'aspire à rien d'autre."
En passant devant madame Germaine, monsieur Massiban asséna :
" Je vous enlève votre pensionnaire, madame. Je promets de vous la rendre plus éclairée par la science.
- Faites, monsieur, faites, mais n'en faites pas une habitude, claqua Madame.
- C'est à voir, madame, c'est à voir."
Annotations