5 mai - 15 heures
Nouvelle journée de vide. Gabrielle du Plessis aspirait au soleil et à la promenade.
Madame Germaine la surveillait, tel un dragon sur son or.
Elvire était sortie en compagnie de Suzy, les deux femmes devaient passer chez divers fournisseurs et commerçants.
Gabrielle du Plessis jouait les femmes du monde. A ses côtés, un député républicain vantait ses discours à la Chambre.
Elle ne cessait de s'extasier.
" Vous êtes incroyable, merveilleux, magnifique... Un vrai Clemenceau ! Un nouveau Victor Hugo ! Un deuxième Lamartine !"
Monsieur Léon Rochefort parlait haut et parlait fort. Gabrielle jouait bien les intéressées. Elle captait l'intérêt dans le regard de son vis-à-vis, rien qu'en penchant la tête et en haussant une charmante épaule. Le poisson était ferré et la cocotte n'attendait plus que la proposition d'aller dans sa chambre.
Toute cette mise en scène tomba à plat lorsque Suzy entra, seule, dans le salon. Elle tendit aussitôt la main vers Gabrielle pour l'appeler.
La femme se leva et s'excusa auprès de son client.
Prête à gronder Suzy qui la dérangeait en plein travail, Gabrielle se tut lorsque la jeune femme lui ordonna de l'écouter.
Les deux cocottes partirent se cacher dans une chambre. Mathilde remplaça Gabrielle auprès de monsieur Rochefort et tout fut parfait.
" Quoi ? Tu me fais perdre un client !, grogna Gabrielle.
- Attends ! Il faut que tu saches !," plaida la jeune femme à son aînée.
Gabrielle dardait des yeux courroucés sur sa collègue, mais Suzy lui sourit gentiment.
" Elvire voulait rencontrer Florian d'Andrézy. Tu sais qu'il m'aime bien.
- Florian ?"
Gabrielle resta droite et ferme, malgré l'angoisse qui la saisissait.
" J'ai demandé à Elvire si elle était sûre d'elle. Après le fiasco à l'ambassade de Russie, je me suis dit qu'elle devait être prudente, mais elle pensait que c'était une bonne chose que d'aller voir une autre ambassade. Ils ont de l'argent dans ce milieu-là, tu sais ? Alors, j'ai dit à Elvire que si elle voulait vraiment aller voir l'ambassade de Hongrie, je..."
Suzy se tut, cherchant ses mots. Gabrielle se retenait à grand peine d'étrangler la jeune idiote.
" Je... Je sais plus où j'en suis, sourit bêtement Suzy.
- L'ambassade de Hongrie !, craqua Gabrielle.
- Ils nous ont reçues tout de suite. Tu sais que Florian m'aime bien, hein ? Il est adorable, celui-ci. Il s'est levé à notre entrée avec un grand sourire. Tu sais comme il a un beau sourire, hein ? Un bel homme, ce Florian. Si ça ne tenait qu'à moi, je..."
Cette fois, Suzy dut sentir le malaise de sa collègue. Prudemment, elle reprit son discours :
" Il nous a reçues., il était tout jouasse de nous voir. Il s'est levé et a dit : " Suzy, tu te fais rare, ma chérie, et Gabrielle, franchement, je devrais te gronder !"
- Gabrielle ?"
Suzy sourit, sûre d'avoir apaisé son amie. Elle se trompait lourdement.
" Oui ! En voyant Elvire avec son grand chapeau, il l'avait prise pour toi. Mais ça n'a pas duré ! Florian a tout de suite compris son erreur, il est devenu tout rouge et tout penaud. Il était adorable !
- Il a pris Elvire pour moi ???, s'énerva la cocotte.
- Quelques secondes seulement ! Le temps de nous avoir assises dans son bureau. Là, il ne savait plus quoi faire de nous.
- Mon Dieu ! Je ne sais plus quoi dire !
- Attends ! Elvire a voulu jouer les séductrices. Tu sais comme elle fait ! Avec les yeux doux et les seins en avant. Elle a dit : " C'est pas grave ! Nous sommes entre jeunes, c'est mieux, non ?"
- Je vais tuer Elvire, puis je vais tuer Florian !
- Attends que je te dis ! Tu ne devineras jamais ce qu'il lui a répondu.
- D'aller se jeter dans la Seine !
- Non, non. Qu'il préférait l'expérience et le charme de la maturité à l'arrogance de la jeunesse.
- QUOI ?
- Elvire est partie en claquant la porte et Florian m'a chargée de t'inviter à dîner ce soir en sa compagnie. Tu es libre ?
- Oui, il le mérite. Il a été adorable, justement."
Suzy sourit et laissa sa collègue revêtir sa plus belle robe, les yeux brillants de joie.
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