10 mai - 11 heures
Gabrielle du Plessis se préparait à faire son entrée dans le salon du One-Two-Two. Elle était toute pimpante et délicieusement maquillée.
Fi d'Elvire et de ses machinations !
Gabrielle était belle, elle marchait le front haut et le sourire étincelant, elle portait avec grâce ses quarante ans. Fière d'elle et de tous ses combats !
Une femme d'expérience et de tendresse.
Voilà ce qu'elle était et elle voulait le montrer à tout le monde !
Seulement, elle déchanta aussitôt.
Au-milieu du salon l'attendait un policier et cela, elle ne s'y était pas préparée.
Madame Germaine était debout, le chignon brinquebalant et la colère dans le regard. Elle foudroya des yeux la pauvre Gabrielle.
" La voilà ! On arrive à ses heures dans cette maisonnée ! Au mépris du règlement !"
Le policier se leva et se tourna vers Gabrielle. C'était l'inspecteur Puchot ! La cocotte osa un petit sourire. Puchot hocha la tête.
" Je suis mandaté pour venir vous chercher, madame. Toute séance tenante !
- Hé bien, fit la femme, inquiète malgré tout, je vous suis !
- Par exemple !, grogna Madame Germaine. Et vous comptez la garder combien de temps ?
- Le temps qu'il faudra, madame, claqua Puchot. Ordre du chef de la Sûreté !
- Le chef de la Sûreté ? Mais lequel ?, murmura Gabrielle.
- M. Lenormand, madame. Evidemment !," expliqua posément l'inspecteur.
Ce faisant, Puchot aida Gabrielle à se vêtir de sa pélerine et à saisir son ombrelle de dentelles. Madame ne comprenait pas.
" Lenormand ? Mais il n'est pas parti pour les colonies ce tantôt ?
- Que non pas, madame ! Il reste notre chef.
- Pardi ?
- M. Lenormand a refusé de quitter la Sûreté et ses hommes !"
Ce fut dit avec orgueil. Gabrielle exhibait maintenant ses dents dans un large sourire, heureuse enfin.
Madame Germaine s'était tue, domptée.
Dans le véhicule cellulaire qui l'emportait jusqu'à la Sûreté, Gabrielle conserva son sourire. Puchot la vit et se sentit satisfait d'avoir repris son poste de préposé au bureau de Lenormand.
Au diable les érections intempestives !
A la Sûreté, un monsieur Lenormand accueillit en grande tenue officielle Gabrielle du Plessis. Son bureau était redevenu le sien et des pâtisseries attendaient d'être dégustées. Avec du café et du chocolat chaud.
Gabrielle se retrouva en face de son cher Arsène. Ce dernier lui embrassa la main et lui lança :
" Tu te fais rare, ma toute belle.
- Tu étais absent.
- J'ai eu des choses à régler, c'est juste. Mais tout est rentré dans l'ordre."
La femme s'assit, elle se mit à verser le café dans les tasses et à jouer les femmes de maison.
" Tu as refusé une promotion. Ce n'est pas raisonnable, Arsène.
- Quelle promotion ? Partir en Cochinchine ? J'ai déjà donné !
- Avec le titre de gouverneur ?! Je ne crois pas, non."
Gabrielle servit une part de Paris-Brest à Lenormand, sachant que c'était là son gâteau préféré.
" Que m'importe d'être gouverneur à des jours de voyage de Paris ?
- Le salaire ? La prestance ? Le pouvoir ? C'est la suite logique d'une carrière qui va te pousser au ministère.
- Je n'ai que faire de tout ça, Gabrielle."
Lenormand claqua dans ses doigts et Gabrielle le contempla.
" Être chef de la Sûreté te suffit ?
- Non. J'aspire à bien plus !"
L'homme saisit la main de Gabrielle et l'embrassa encore.
" Bien, bien plus. Mais je ne sais pas comment l'obtenir.
- Mhmmm. Il suffit de demander. Tu ne crois pas ?
- Je ne suis pas sûr de la réponse. Alors j'attends et j'espère.
- En tout cas, je suis la plus heureuse du monde en cet instant... Le reste n'a pas d'importance.
- Oui. Nous verrons bien..."
Lenormand accepta une tasse de café et regarda Gabrielle s'en servir une autre de chocolat chaud. Il nota les cernes sous ses yeux aux couleurs de la forêt et s'en inquiéta.
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