17 mai - 14 heures
Les hommes ne quittaient pas du regard la merveilleuse apparition qui venait de faire son entrée à l'ambassade d'Allemagne. L'ambassade utilisait l'hôtel de Beauharnais, au 78, rue de Lille, comme siège officiel.
Depuis l'affaire du bordereau trouvé par Mme Bastian, la femme de ménage à l'origine de la découverte de l'Affaire Dreyfus, l'ambassade était surveillée et difficile d'accès.
Sauf pour une jolie femme, manifestement.
Un préposé à la porte arrêta Gabrielle du Plessis et celle-ci lui sourit chaleureusement.
" Je suis attendue, monsieur, fit-elle.
- Meine Dame, er ist verboten.
- Je ne comprends pas, monsieur."
Gabrielle accentua le sourire et l'homme hésita à faire le méchant.
Une voix grave et mélodieuse retentit à cet instant.
" Madame du Plessis ?! Vous me voyez surpris."
La cocotte se retourna, dans ses voiles et ses boucles. Elle tendit la main pour se la faire baiser.
" Monsieur le prince, je suis venue vous retrouver. Si vous avez du temps à m'accorder ?
- Pour vous, j'ai tout mon temps, fit le prince Hugo Julius Raoul Eduard Leszczyc von Radolin.
- Merveilleux !
- Venez dans mon bureau et devisons un peu.
- Avec plaisir !"
La main, possessive, que l'ambassadeur posa sur le creux des reins de la femme fut explicite. Les agents disparurent et cessèrent de surveiller le prince von Radelin.
Seul, un des agents, méfiant, murmura dans sa barbe :
" Qui est cette femme ? Pour venir ainsi ?"
On lui répondit simplement :
" Une demi-mondaine célèbre que le prince veut dans sa collection.
- Ferait mieux de surveiller ses dossiers..."
Les portes se fermèrent et chacun retrouva son poste et ses affaires en cours.
Seul le prince discutait joyeusement avec la cocotte.
Gabrielle du Plessis savait y faire, elle souriait, elle s'intéressait, elle se déshabillait...et elle écoutait avec la grâce d'un ange descendu du ciel.
" Vous m'étonnez, Gabrielle, s'écria le prince. Je croyais que vous aviez choisi le prince Sernine.
- Mhmmm. Un Russe contre un Allemand ?! Ce ne sont pas les Allemands qui dominent le monde en ce moment ?
- Peut-être, peut-être... Cela dépend où...
- En Europe ?
- Très chère amie... L'Allemagne a depuis longtemps dépassé cette vision étriquée de l'Europe. L'Allemagne doit dominer le monde ! C'est son destin !
- Hooooo ! Vous m'impressionnez, mon prince.
- Ach so !"
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