20 mai - 16 heures
Gabrielle n'avait pas l'habitude d'être jugée. Critiquée, oui, moquée, évidemment, haïe, certainement. Mais jugée ? Non, pas vraiment.
Or là, elle l'était.
Et ce sentiment de passer une épreuve décisive était désagréable.
" Mhmmmm. Levez la jambe et courbez la taille !"
La voix ordonnait, gentiment mais fermement.
Gabrielle leva la jambe et courba au maximum sa taille. La pliant contre son gré.
" Là, c'est mieux. Levez la main et courbez les doigts.
- Courbez les doigts ?
- Là, en arrière !"
Cléo de Mérode vint se placer derrière Gabrielle et soigneusement, elle lui fit courber les doigts en arrière. Le manque de souplesse fit grimacer la cocotte.
Cléo de Mérode sourit.
" Il n'y a pas que la taille, les hanches ou le visage. Il y a les mouvements des mains qui sont primordiaux dans la danse cambodgienne. Ainsi dansaient les déesses des temples."
Gabrielle plia, s'assouplit, son corps se soumettait à la volonté de la danseuse et icône célébrée de tous. Cléo de Mérode lui murmura dans le creux de l'oreille :
" Vous avez dû le remarquer en regardant mes spectacles, non ?
- Oui, souffla la cocotte.
- Ou ceux de Mata-Hari. Lesquels avez-vous vus ?"
Gabrielle eut du mal à courber la taille plus qu'elle ne l'était, elle retint son souffle pour lever la jambe. Les épaules, la tête, les yeux.
Tout restait droit et concentré.
"Ne souriez pas autant ! Une déesse ne souriait que très peu. Le monde ne le mérite pas !"
Le sourire disparut et Gabrielle cacha ses dents.
" Vous avez du potentiel !, approuva Cléo de Mérode. Je veux vous revoir la semaine prochaine. Vous souhaitez danser pour vous ou pour la scène ?
- Je ne sais pas. Cela dépend de vous.
- Mhmmm. Je peux vous aider à danser à l'instar des déesses cambodgiennes. J'ai encore mon costume et vous êtes assez fine pour faire illusion.
- Illusion ?
- L'illusion d'être moi."
Gabrielle du Plessis accusa le coup et cessa de se plier.
Elle se redressa et contempla Cléo de Mérode dans les yeux.
" J'ai vu votre danse au cinéma lors de l'Exposition Universelle de 1900.
- On m'a violemment critiquée. Ma danse n'avait rien de cambodgien, mais elle était délicieuse.
- J'ai vu aussi Mata-Hari. C'était tout aussi délicieux."
Cléo de Mérode eut son petit sourire amusé.
" En plus sulfureux. Je commence à comprendre ce que vous voulez faire de vos danses, Gabrielle.
- Pour une scène privée.
- J'avais saisi. Je vais vous présenter Mata-Hari, c'est une amie. Même si nous ne le montrons pas."
Gabrielle battit joyeusement des mains.
Puis elle fut aussitôt refroidie par ce que lui asséna sèchement la danseuse :
" Vous transmettrez mes amitiés à Luis. Cet Espagnol est un séducteur."
Avec un aplomb qu'elle était loin d'avoir, Gabrielle répondit dans un sourire :
" Je n'y manquerai pas."
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