22 mai - 10 heures
" Je vous demande pardon, inspecteur. Je... Je n'imaginais pas vous voir ici un jour. Vous...vous voulez une fille ?"
L'inspecteur Javert leva les yeux au ciel et grogna :
" Je veux Gabrielle, madame."
Madame Germaine plissa les yeux, ennuyée.
" C'est que...c'est qu'elle est chère, inspecteur. Elle..."
Javert glissa la main dans la poche intérieure de sa veste et en sortit un jeton tout neuf.
" Ha ? Je ne vous aurais jamais imaginé appréciateur de menottes et de cravaches.
- Quoi ? Mais non voyons. Je..."
Madame exhiba le jeton et Javert se tut, dompté.
" Je peux avoir Gabrielle maintenant ?
- Evidemment, inspecteur. Elle est dans sa chambre. Vous connaissez le chemin ?
- Oui," claqua Javert.
Dans sa chambre, Gabrielle terminait de se coiffer. Il était tôt et elle attendait son bain.
Elle sursauta en entendant le tambourinement caractéristique de la police sur sa porte. Elle se redressa en imaginant une inspection impromptue.
Elle fut encore plus surprise en voyant son ami.
" Toi ? Tu veux... Tu veux...?
- Ne dis pas de bêtise ! Je t'emmène jouer aux boules. C'est mon quart de repos.
- Aux boules ?
- Avenue des Champs-Elysées, il y a un boulodrome. Viens donc !
- Tu es sérieux ? Javert !
- Ne m'énerve pas ! Je suis au repos ! Je recommençerai à gueuler ce soir, sur mes arpètes de collègues.
- Je viens, je viens. Comment s'habille-t-on pour jouer aux boules ?"
Javert toisa la femme et lui sourit cruellement :
" Avec sobriété. Il fait chaud et il y a des mâles.
- Heureusement que tu es là dans ce cas.
- Sûr. Le daron m'arracherait les rouflaquettes si un malheur t'arrivait !
- Tu exagères. M. Lenormand est un ange !
- Ou les roubignolles... C'est à voir !"
Gabrielle se mit à rire en mettant la plus légère de ses robes, agrémentée d'un chapeau à plume et d'une ombrelle de dentelle.
Devant cet équipage, Javert soupira et offrit son bras.
Madame Germaine les regarda sortir du salon, horrifiée.
" Mais, mais... Vous n'allez pas faire ça dehors ?! Inspecteur !
- Je fais déjà ça dehors. Avec ma propre matraque."
Cette fois, madame Germaine, qui pourtant en avait déjà bien vu durant sa vie, pâlit d'effroi.
Javert retira sa veste, posa son chapeau sur une borne et frotta ses mains. Il avait déposé sur le sol un panier rempli de boules cloutées.
Il posa précautionneusement une petite boule de bois à terre et la contempla plusieurs longues minutes.
" C'est une mignonne petite boule, affirma Gabrielle.
- C'est le cochonnet.
- Haaaa ! Tu m'en diras tant !
- Ecoute donc, gourde !
- J'écoute !"
L'inspecteur se lança alors dans un cours sur le jeu provençal né depuis peu à Nice et appelé les "pieds tanqués". Javert ayant ses origines dans le Midi, savait y jouer et l'appréciait beaucoup.
On y jouait avec des boules étoilées et un cochonnet. Tout était une question de posture, le jeu se faisait sur un petit terrain, on lançait ses boules sans élan, les pieds joints.
On tirait, on pointait, on faisait des palets et on embrassait Fanny.
Gabrielle apprenait, elle tirait, pointait, faisait des palets...et minaudait pour ne pas embrasser Fanny.
Javert arborait un sourire réjoui qui ne lui allait pas du tout.
" Si je gagne, ma joliette, j'ai une demande à te formuler.
- Quoi ? Toi aussi ? Ta punaise ne te suffit plus ?
- Laisse Jeanne en-dehors de ça !
- Que veux-tu alors ?
- Que tu me racontes exactement quel souci tu as en ce moment. Je ne suis pas branquignole au point de ne pas remarquer que tu tirais la mine.
- C'est mes mômes. Ca ne te concerne pas !"
Javert lança une boule en l'air avant de la rattraper habilement, et asséna sèchement :
" Alors gagne, ma joliette. Car je ne te laisserai pas en paix !
- Chiche !"
Gabrielle rattrapa la boule à la volée.
Elle perdit à 11 points et en fut fort marrie.
Javert sortit de son panier deux bouteilles de cidre bien fraîche et les lui passa.
" Maintenant, raconte.
- Vois-tu, mes enfants doivent trouver une nouvelle famille d'accueil et je ne sais pas quoi faire...
- On va trouver, ma joliette. On va trouver.
- Je refuse que tu les héberges.
- Qui parle de moi ?"
Javert sourit d'une manière énigmatique et Gabrielle ne comprit pas...ou ne voulut pas comprendre.
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