24 mai - 8 heures

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Le Parc des Princes était déjà bien ensoleillé. Il faisait beau et quelques passants marchaient sous les arbres en profitant de l'air printanier.

Déambulation primesautière à quelques pas d'un drame.

Gabrielle du Plessis ne souriait pas, elle ne ressentait aucun plaisir à être présente. Juste une peur terrible.

" André, tu es sûr de toi ?

- Allons, ma chérie. Remets-toi ! J'ai déjà connu ça moi-même.

- Toi ?! "

Cette fois, la peur cédait le pas à l'angoisse et Gabrielle pâlissait d'autant plus.

André Laroche leva les yeux au ciel, amusé. Il traitait la vie avec la même insouciance qu'à son habitude.

" Que veux-tu ma Gabrielle ? Les duels ont été interdits en 1626 par Louis XIII et le cardinal Richelieu. Que peut-on faire de plus ?

- Ne pas se battre ?

- Tu es trop candide, ma chérie. L'honneur, cela ne se monnaye pas et cela ne s'oublie pas."

Gabrielle leva les yeux au ciel à son tour.

" Oui, mon André.

- Mais sais-tu que des femmes aussi se sont battues en duel ? J'ai assisté au duel à Madrid entre Carmen Paxodol et Gina Lopez, la maîtresse de mon ami, Senor Donvaldez. En décembre 1897.

- Non ? Que s'est-il passé ?

- Carmen est une merveilleuse danseuse, mais Gina a lancé une botte d'oignons sur la scène. Carmen n'a pas apprécié et l'a provoquée en duel."

Gabrielle regarda avec attention André Laroche et l'homme lui fit un sourire malicieux.

" Tu te moques de moi, André.

- Plus sérieusement, en 1892, au Liechtenstein, j'ai entendu parler de Pauline von Metternich se battant seins nus contre la comtesse Kielmannsegg. Le premier duel opposant des femmes et organisé par des femmes. Même les témoins étaient des femmes.

- Cela t'aurait plu ça, mon André. Des femmes aux seins nus se battant à l'épée.

- Je ne suis pas sûr. J'aime mieux caresser des seins que de les voir blessés.

- Je ne me battrai jamais en duel ! Je suis trop couarde !

- Je l'espère bien !, asséna durement André Laroche. Se battre en duel pour une question d'honneur ! C'est bon pour les hommes ! Les femmes sont trop douces pour ça."

Gabrielle cacha son sourire moqueur derrière sa main gantée.

Adorable André Laroche. Terriblement suranné.

De fait, sous les arbres du Parc des Princes, à Paris, en ce 24 mai, deux hommes fâchés pour une question d'honneur se préparaient à se battre. Ils devaient se tirer dessus deux balles chacun à 16 mètres. C'était leur troisième duel en un mois.

Les témoins s'inquiétaient de cette hargne et parlementaient pour calmer les duellistes.

Le comte Just de Poligny et le lieutenant Ismaël de Lesseps refusaient la conciliation et leurs témoins préparaient avec soin leurs armes.Le marquis de Sardelys sermonnait durement les deux hommes.

Trois duels, c'était trop et il fallait en finir de cette querelle !

André Laroche s'approcha à son tour et se plaça tout près du lieutenant Ismaël de Lesseps.

Il posa une main sur l'épaule du jeune homme et lui lança :

" Jamais deux sans trois, mais le quatrième n'a pas lieu d'être. Ton père est aux cents coups, Ismaël.

- Poligny mérite une balle et tu le sais très bien, André !

- Je le sais. J'ai refusé d'être ton témoin pour ton père mais je suis là ! Tu le vois bien !

- Père acceptera ! Et Poligny fermera enfin sa grande gueule !"

André Laroche se recula et dit "merde" au jeune homme exalté.

Gabrielle le vit revenir, l'air sombre et préoccupé.

" Alors l'honneur ne suffit pas ?, demanda Gabrielle.

- Ne plaisante pas avec ça ! Ismaël est bien trop nerveux, il va rater son coup. Trois duels en un mois ! Le marquis de Sardelys aurait dû l'interdire !

- Il ira bien, non ?

- Espérons ! Le comte de Poligny est nerveux, lui aussi. Espérons !"

Huit heures et demie ! Les deux duellistes se faisaient face, chacun l'arme à la main et le visage fermé.

Le marquis de Sardelys cria "Feu" et on fit feu. Les deux balles fusèrent et ne blessèrent personne.

André Laroche, plus rassuré, retrouva un sourire réjoui.

" Bien. Ils sont trop nerveux pour arriver à quelque chose ! Parfait !"

Mais au deuxième commandement, les balles furent plus meurtrières.

Le lieutenant de Lesseps tira le premier et sa balle frappa le canon du pistolet du comte de Poligny, elle ricocha sur le bras et l'épaule de ce dernier. Du sang parut.

Le comte tira à son tour, un quart de seconde plus tard, et sa balle atteignit la cuisse droite du lieutenant, elle la traversa et termina sa course dans la cuisse gauche.

Ismaël de Lesseps recula, chancela et les témoins se précipitèrent sur lui.

On l'examina, on l'emmena à la clinique du docteur Dartigues, rue de la Pompe.

André Laroche emmena Gabrielle du Plessis loin du sang et de l'horreur.

" Je ne sais pas si l'honneur mérite une vie, mais je n'aime pas ce que j'ai vu, André !

- Ismaël a mal choisi son arme. Il est champion de sabre. Je le lui ai pourtant conseillé !

- Va-t-il mourir ?"

André embrassa la main de la cocotte et lui murmura en souriant tristement :

" Tu as remarqué la cicatrice sur mon épaule ?

- Oui. Tu as la même que M. Lenormand.

- Ce fut une affaire d'honneur.

- Je le sais bien. Vous êtes tous les mêmes, vous les hommes...

- Il ne mourra pas. Mais il aura une jolie cicatrice à exhiber auprès de ces dames.

- Si tu le dis, mon André. Si tu le dis."

Le Parc des Princes était beau sous le soleil de mai. Maintenant, une foule de promeneurs déambulait en devisant gaiement.

Le drame s'était joué.

On sut en fin de matinée que le jeune Ismaël de Lesseps ne mourrait pas en effet.

Gabrielle en fut immensément soulagée.

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