26 mai - 20 heures
Gabrielle du Plessis se tenait fièrement debout sur la scène. A ses côtés, Colette dansait et se déhanchait.
Les leçons de Cléo de Mérode portaient enfin leurs fruits.
Le public du Moulin-Rouge, hypnotisé, regardait avec ébahissement ces mouvements syncopés et ces airs de déesse cambodgienne.
Parmi la foule, Mistinguett approuvait la danse et l'effeuillage qui s'en suivait.
Elle mit un coup de coude dans le flanc de son voisin de droite.
" Qu'en penses-tu l'Amerloque ? C'est bath, non ?
- It's frisky.
- N'est-ce pas ? Et ça attire le Tout-Paris ! Imagine un peu ! Le Tout-Paris qui vient voir notre Gabrielle nue comme au premier jour. Colette, on a l'habitude, mais Gabrielle ! Elle a le mérite de la nouveauté."
Mistinguett contempla le visage fermé de Jim Barnett et lui sourit.
" Enfin, pas pour tout le monde ! Hein l'Amerloque ?
- Hmpf."
Ce qui provoqua un immense éclat de rire.
Sur la scène, Gabrielle était merveilleuse dans ses voiles et ses bijoux dorés. Mistinguett apprécia en connaisseuse les mouvements de la danseuse.
" Cléo n'a quà bien se tenir ! Nous avons là sa remplaçante ! Elle est toute jolie notre Gabrielle. Un peu trop ronde, peut-être.
- Too what ?! What are you talking about ? She's divine !
- Je t'adore Jim ! Lui as-tu seulement dit que tu l'aimais cette femme ! A lui jouer ainsi les désintéressés, tu vas la faire fuir !
- Who said anything about love ?"
Mistinguett secoua ses belles boucles et sourit.
" Personne. Où avais-je la tête ? Mais regarde-la ! Elle est si belle ! Elle est faite pour la scène ! Je vais en parler à mon directeur !
- You want to get her a gig !
- Pourquoi pas ? Elle a du talent !"
La danse arrivait à sa fin.
Colette et Gabrielle étaient toutes les deux nues, elles vinrent se prendre par les mains. Puis, en dernier coup de théâtre, elles s'embrassèrent sur la bouche.
Le rideau tomba sur cette vision et un tonnerre d'applaudissements retentit.
Fâché, Jim Barnett se dressa sur son fauteuil. Une main lui saisit durement la cuisse et le retint là.
" Non ! C'est son triomphe et pas le tien ! Tu la gronderas plus tard, l'Amerloque !
- See, if she was mine, she wouldn't be fooling around naked on a stage for the world to see !
- Certes ! Mais Gabrielle est libre et sauvage ! Elle n'est pas à toi !
- Yet," grommela Jim Barnett.
Mistinguett observa la salle, tout le monde réagissait et ce n'était pas que des applaudissements admiratifs, de nombreux sifflets retentissaient.
" Un tel final va lui attirer deux choses ! Une foule de spectateurs encore plus grande et un blâme du directeur du Moulin-Rouge ! Espérons que le succès sera plus fort que tous ces vieux imbéciles !"
Les applaudissements gagnèrent en puissance.
Le rideau se releva, dévoilant nos deux danseuses, revêtues de déshabillés transparents, des bouquets de roses plein les bras.
" Roses ! How original of Laroche !, remarqua sobrement Jim.
- Encore un cadeau de ce charmant André !, approuva Mistinguett. Cet homme est plus intelligent que toi ! Il va la gagner, sa Gabrielle !
- His Gabrielle ?! He's not the one I'm worrying about...
- Si tu le dis, Jim, si tu le dis ! Gabrielle n'a d'yeux que pour toi, en tout cas !"
Une femme vint offrir un bouquet de délicieuses pivoines à Gabrielle et Mistinguett se tourna vers Jim Barnett.
Mutine, elle lui lança :
" Ou alors pour Liane de Pougy. Même fiancée, la courtisane n'a pas oublié sa petite faiblesse de cet hiver.
- I told you before, the woman who will beat me is not born yet !
- Really ? She might be already and she just took the stage by storm !!"
Un dernier éclat de rire termina en beauté cette soirée passée au Moulin-Rouge.
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