1er juin - 10 heures
Le 1er juin 1910, le ciel d'Issy-les-Moulineaux était beau. D'un bleu d'espérance, chaque nuage semblait d'une ascendance paradisiaque.
Pourtant ce ciel était devenu un ciel de guerre.
Maurice Clément manoeuvrait son biplan avec brio et dansait entre les nuages.
Des aéroplanes valsaient pour cette conférence internationale de navigation aérienne.
Alfred Leblanc et Morane multipliaient les vols planés sur des appareils fabriqués par Louis Blériot.
Le public hurlait de peur puis applaudissait chaque manoeuvre dangereuse effectuée par les pilotes émérites.
" Tu ne participes pas, ma Raymonde ?, demanda André Laroche à sa soeur, surpris.
- Je pars pour Budapest demain. Je préfère me concentrer sur le meeting hongrois.
- Vous partez en Hongrie ?, s'étonna Gabrielle.
- J'ai parié avec Florian d'Andrézy qu'une femme pouvait battre tous les hommes de Hongrie aux commandes d'un aéroplane !, affirma fièrement l'aviatrice.
- Je vais donc devoir casser la gueule de Florian si quelque chose t'arrivait !, annonça lugubrement André Laroche.
- Tu vas surtout m'offrir un nouveau moteur, mon frère, si riche et célèbre. Je veux être au top pour le meeting de Rouen !
- Tu n'as qu'à passer commande, ma chère soeur et je verrai avec mes usines ce qui est possible."
La baronne Raymonde de Laroche embrassa son frère sur la joue et fit un clin d'oeil à la cocotte.
" C'est comme ça qu'on tient mon frère, Gabrielle ! Il suffit de lui montrer à quel point il est important !"
Gabrielle rit et hocha la tête.
" C'est vrai ! André a besoin de sentir qu'on a besoin de lui.
- Je vous rappelle, charmantes demoiselles, que je suis là et parfaitement apte à vous entendre !
- Un moteur Clément-Bayard !, fit Raymonde, autoritaire. Un 43 HP !"
Les trois amis se turent pour regarder le départ d'un nouvel aéroplane. Raymonde de Laroche expliqua :
" Il s'agit de mon ami, Edmond Audemars. Il passe son brevet de pilote aujourd'hui !
- Audemars, répéta Laroche, amusé. Je le connaissais comme coureur cycliste, le voilà aviateur !
- Tu devrais reprendre ton petit Blériot, André. Tu n'as pas volé depuis longtemps !"
Laroche ne répondit pas, il venait de remarquer les grands yeux inquiets de sa compagne. Il se contenta de sourire en affirmant :
" Cela fait longtemps que je ne vole plus, ma Raymonde. Le ciel n'est pas pour moi !
- Ha ? Tu n'as pas volé il y a un mois à Tours ?, interrogea l'aviatrice.
- Un détail, Raymonde ! Un simple détail !"
Laroche prit sa soeur d'une main et sa compagne de l'autre.
"Regardez comme notre Edmond vole magnifiquement ! Il mérite son brevet !"
Les doigts de la cocotte tremblaient entre les siens et l'industriel les serraient de son mieux.
Mais là-haut, dans ce ciel si bleu et si beau, se jouait une valse mortelle...
L'Aéro-Club de France avait organisé une grande manifestation aéronautique avec démonstrations de vols et conférence internationale sur la navigation aérienne.
Des Russes, des Italiens, des Anglais, des Allemands, des Américains... Tous étaient présents et représentaient leur nation dans la course à la domination du ciel.
Puis un cri d'horreur retentit sur le champ de manoeuvre, l'aviateur de Lambert venait de terminer son vol par une fabuleuse descente en spirale. Il atterrit sans problème en plein centre du terrain.
Le service d'ordre intervint pour ramener le calme parmi les spectateurs, tous courraient pour acclamer l'aviateur.
" Sacré Charles !, s'exclama Laroche, emballé. Il est merveilleux !
- Oui, il me rappelle toi à Reims, fit simplement Raymonde.
- Tu exagères, soeurette."
Gabrielle du Plessis regardait encore le ciel, les avions en folie et les nuages qui n'avaient plus rien de paradisiaque.
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