2 juin - 11 heures
La Sûreté, ses couloirs et ses recoins poussiéreux. Ses suspects menottés, ses inspecteurs en plein travail et ses portes bien fermées.
On entendait la voix puissante du préfet de police, Louis Lépine, qui invectivait ses troupes.
On percevait les cris de colère de quelques interrogatoires musclés.
Les Apaches dominaient encore Paris et les anarchistes n'étaient pas une légende.
Quelque part s'organisait la police moderne et c'étaient les prémices de la Criminelle.
Des photographies d'Alphonse Bertillon à la prise des empreintes digitales, on testait et on évoluait.
La Sûreté, ses couloirs et ses uniformes bleus...
Gabrielle du Plessis y marchait sans crainte, elle saluait du menton certains des hommes présents, voire elle reconnaissait certaines femmes arrêtées par la Brigade des Moeurs.
Elle-même par le passé...
Si l'inspecteur Javert n'avait pas été là...
D'ailleurs, en parlant du loup, Gabrielle percuta un torse massif et leva les yeux sur un ensemble de boutons brillants, puis sur un visage mangé de favoris.
" Que fais-tu là, la joliette ? Si tu cherches le daron, tu t'es trompée de couloir. Ici, c'est le fief des inspecteurs.
- Je vais voir M. Lenormand, mais avant, j'ai une commission !
- A faire chez les cognes ?! Qu'as-tu en tête, la joliette ? Tu es bien gentillette, mais ici, on bosse !
- Vrai ? A vous voir, on ne saurait pas !"
Javert leva les yeux au ciel et croisa ses bras contre la poitrine, déjà agacé.
" Il y a des poulets qui n'aiment pas les cocottes ! Ne pousse pas le bouchon trop loin, la joliette !
- Je veux voir l'inspecteur Puchot !
- Lucien ? Que lui veux-tu à cette heure ? Il est à son taf !
- S'il te plaît ! Je voudrais lui dire merci pour Elvire ! Il aurait pu la laisser passer et..."
Javert n'était pas un imbécile, il comprenait l'angoisse qui ternissait l'ambre des yeux de Gabrielle.
" Epouse-le, la joliette ! Tu ne risques rien avec celui-ci, tu l'as joliment ferré !
- Merci à toi aussi, le cogne !
- Viens, la joliette, soupira Javert, vaincu, mais ne lui cause pas d'ennuis. Lucien est marié !"
De fait, assis devant un café chaud et une pile de dossiers en cours, l'inspecteur Puchot travaillait. Lorsqu'il vit entrer dans son réduit la cocotte du chef, il se leva, étonné.
" Mais ? M. Lenormand est là, madame. Il suffit de frapper à sa porte et..."
Gabrielle s'approcha, déposa son chapeau sur le bureau du policier et se plaça juste devant lui.
" Je suis venue vous voir vous pour vous remercier de m'avoir gardé M. Lenormand."
Puchot rougit et se troubla.
" Ben, le chef vous aime bien et je sais qu'il pense fort à vous, alors...
- Je vais vous faire un cadeau, inspecteur."
Gabrielle sourit et Puchot pâlit.
" Je suis marié, madame. Je...
- Comment faites-vous l'amour, inspecteur ?
- Je suis marié, je...
- Connaissez-vous le coup du levier ?
- Par...pardon ?
- Evidemment ! Vous ne connaissez que les coups de boutoir et cela vous suffit ! Pauvre femme que la vôtre ! Penchez-vous et écoutez-moi bien !"
Puchot, intrigué, se pencha et écouta les conseils avisés de la cocotte, experte aux jeux de l'amour.
Plus tard, devant le huitième café du jour, Puchot se retrouva face à Javert. Les deux inspecteurs de police se toisaient.
Javert eut un sourire qu'il dissimula derrière sa tasse.
" Le coup du levier marche bien, Lucien. Ma Jeanne ne m'aime pas que pour ma douceur d'âme..."
Puchot s'étouffa dans son café.
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