3 juin - 10 heures
Gabrielle faisait amende honorable. Elle posait depuis des heures et des heures devant le peintre espagnol. Pablo Picasso était satisfait, il peignait et les couleurs se mêlaient aux couleurs.
Patchwork issu de l'esprit d'un génie !
Du bleu, de l'orange, un dégradé de beige et une femme apparaissait.
Gabrielle du Plessis était effectivement rousse et cela la désespérait.
Ses seins, ses pieds, sa tête, son corps tout entier ressortaient de la toile par des formes géométriques. Cela s'emboîtait et c'était Gabrielle du Plessis.
C'était aussi l'essence de la femme !
On pouvait ne pas aimer, on se devait de la respecter.
Des heures et des heures, puis Picasso posa ses pinceaux.
" En juillet, tu seras née.
- Vraiment ?, demanda Gabrielle en se rhabillant.
- Il ne manque que la vie et ce sera fait !"
Pablo Picasso saisit une nouvelle cigarette, une Gauloise, et l'alluma avec une stupéfiante habileté.
" Les femmes sont soit des paillassons, soit des déesses. On verra bien ce que la toile fera de toi, Gabrielle.
- Je sais déjà ce que je vaux, se mit à rire la cocotte.
- Il est où déjà ton bordel ?"
Gabrielle tendit la main et offrit un jeton au peintre espagnol.
Sur la toile, elle se voyait mais ne se reconnaissait pas. Ses cheveux roux, son corps torturé, sur sa tête était posé un petit bonnet turc, tout bleu.
" Une déesse ? Je ne crois pas l'être, soupira la cocotte.
- Reviens la semaine prochaine et tu te verras."
Gabrielle, habillée de pied en cap, sortit de l'appartement du peintre pour frapper à la porte de celui de la Divine.
Sarah Bernhardt l'accueillit simplement d'un baiser sur les joues, dans sa tenue d'ouvrière. Elle avait les mains maculées d'argile.
" Je travaille sur un modèle pour mon Ondine. Je ne veux pas rater votre sein, Gabrielle.
- Mon sein ?
- Mettez-vous torse nu, nous allons retravailler cette partie."
La cocotte se retrouva en jupon, des mains caressaient ses seins et la Divine, la Voix d'Or, le Monstre Sacré, mesurait et tâtait.
" Le galbe-là, il ne faut pas le rater ! Je vais essayer !"
Sarah abandonna les seins de la cocotte, couverts de terre, pour se positionner devant son modèle d'Ondine en argile. L'artiste modela et ses mains se mirent à caresser une nouvelle poitrine.
Le sein de Gabrielle du Plessis, jolie petite poire au téton bien sorti, apparaissait peu à peu.
Sarah Bernhardt se recula et l'examina avec attention.
" Voilà, voilà, voilà. Il sera si tendre que tout le monde aura envie de le caresser. En espérant retrouver la chair dans le marbre."
Gabrielle enfila sa chemise pour se rapprocher de son sein. Elle tendit la main et son doigt glissa sur le téton.
" J'ajouterai un détail qui changera tout. Vos amants vont pouvoir vous reconnaître, s'amusa la sculptrice.
- Lequel ?, demanda Gabrielle, fascinée de voir son propre sein exposé comme une oeuvre d'art.
- Votre grain de beauté ! Là !"
De fait, de son ongle, la Divine ajouta un tout petit défaut au sein et Gabrielle se reconnut enfin.
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