7 juin - 13 heures
" C'est incroyable !, s'extasia la cocotte.
- N'est-ce pas ?"
Gabrielle du Plessis se tourna vers son compagnon. Le prince Sernine, si élégant aujourd'hui, dans son costume de velours. Un riche prince russe perdu dans ce Paris de 1910.
" Vous aviez raison, moy dorogoy [mon chéri].
- Je le savais. Cette exposition est exceptionnelle, moya zvezda [mon étoile]."
Les yeux de Gabrielle brillaient de joie.
Autour d'elle, dans ce Grand-Palais, on voyait des maquettes, des dessins, des photographies montrant l'art de Gaudi.
L'architecte espagnol visionnaire, Antoni Gaudí i Cornet, exposait son oeuvre, lors du Salon annuel de la Société nationale des Beaux-Arts.
Gabrielle était impressionnée par la nouveauté et la modernité. Elle songeait à Picasso et comprenait que l'art changeait.
Le XIXe siècle était terminé, le XXe siècle construisait une nouvelle pensée.
Une nouvelle société naissait et il fallait changer avec elle.
Des curieux évoluaient entre les artistes venus examiner les oeuvres de Gaudi. Des journalistes examinaient et critiquaient déjà la vision de l'Espagnol.
L'architecte Anatole de Baudot s'avançait, accompagné de Gaudi en personne. Ce dernier était circonspect, c'était la première exposition consacrée à son oeuvre.
Le prince Sernine entraina Gabrielle vers les deux hommes.
Gabrielle contempla la maquette monumentale de la façade de la Nativité de la Sagrada Familia, peinte par Joseph Maria Jujol, le collaborateur de Gaudi.
Elle était immense, exceptionnelle, magnifique..., étrange...
La cocotte entendit des critiques d'art s'exprimer avec admiration :
« […] rien du passé, tout du présent : le résultat parfois imprévu, est toujours équilibré, logique et artistique », affirma le Petit Journal.
Un autre, de la Gazette des Beaux-Arts : « On est en présence du seul créateur de lignes et de formes de notre temps ».
Gabrielle du Plessis examinait les photographies du Park Güell, à Barcelone. Elle serra le bras du prince Sernine et murmura :
" Cela existe vraiment ? On dirait un rêve !
- Cela existe, moya zvezda. Je suis allé à Barcelone et j'ai vu tout cela.
- Un jour, il faudra me raconter tous vos voyages, mon prince.
- Pourquoi pas, moya zvezda ?"
L'architecte Gaudi reconnut le prince et vint le saluer. L'Espagnol fronçait les sourcils et paraissait mécontent.
Le prince présenta sa compagne et Gaudi salua poliment la femme.
" Cela ne va pas, Antoni ?, demanda le prince.
- Les Français ne sont pas cultivés. Voyez-les ! Ils parlent de renaissance et de modernisme catalan sans rien y comprendre. C'est bien plus que ça ! « L’originalité consiste à revenir aux origines. »
- Je comprends, approuva le prince. Mais il faut leur laisser le temps, mon cher. Ils ne savent pas !
- Je ne sais vraiment pas ce que je fais ici, Alexei. Ma Sagrada Familia m'attend et je dois terminer les plans. Le temps m'est compté !
- Allons, Antoni. Vous êtes encore jeune !
- L'église est à peine commencée. Je ne la verrai pas terminée, mais je voudrais que mon successeur sache ce que je veux montrer au monde.
- Je vous assure tout mon soutien, Antoni."
L'architecte posa sa main sur celle du prince russe. Enfin, un sourire illumina son visage austère.
" Il faudra revenir à Barcelone, Alexei. Ma nièce, Rosa, sera heureuse de vous retrouver.
- Et moi de même !"
Anatole de Baudot vint en souriant se placer près de Gaudi, il s'exclama, bienveillant et admiratif :
« Vos professeurs de l'Ecole d'architecture se sont demandés en 1878,s'ils avaient donné ce diplôme à un fou ou à un génie. Je crois que l’avenir nous l'a dit, non ?
- Je suis un fou ?, fit amusé, Gaudi.
- Un génie ! Mon ami ! UN GENIE et le monde le comprendra !"
Gaudi secoua la tête, gêné, tandis que Sernine et Baudot l'applaudissaient à tout rompre. Gabrielle du Plessis se joignit au mouvement.
Antoni Gaudi était un génie et l'avenir le dirait !
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