Quand une cocotte fait la roue...
Gabrielle du Plessis rayonnait.
Elle avait tout préparé. Avec la complicité du portier, la table du salon était couverte de fleurs et de petits gâteaux. Le thé et le café étaient chauds et les tasses fleuries de Madame n'attendaient plus que les invités.
Au-milieu des fleurs trônaient plusieurs journaux qui affichaient en première page une photographie de la course automobile de la veille. Parmi les concurrentes se reconnaissait la cocotte.
Mais cette fois, nulle part n'était évoqué le métier de la femme, juste ses qualités et ses activités extraordinaires.
Gabrielle du Plessis, poètesse, danseuse, aéronaute, automobiliste, cycliste, modèle d'artistes en vogue.
Son courage et sa beauté étaient vantés et provoquaient un certain orgueil chez la femme.
Oubliée la prostituée du One-Two-Two qui s'envoyait en l'air en compagnie d'un riche séducteur parisien !
Gabrielle du Plessis était fière et le montrait.
Soudainement, le salon fut envahi par tous les pensionnaires du One-Two-Two.
Madame, son chignon glissant sur la nuque, s'arrêta sur le seuil, ébahie.
" Mais que se passe-t-il ? Gabrielle !?"
Suzy se mit à applaudir, heureuse, et sans réfléchir plus loin s'exclama :
" Tu nous annonces tes fiançailles, ma Gaby ?"
Cela statufia tout le monde et Gabrielle en perdit son sourire réjoui.
" Mais non, voyons. Je... Non, non !
- Bah, ma Gabrielle, fit Suzy, inconsciente du malaise. Tu peux nous le dire ! Il est bien temps !
- Tu as choisi lequel ?, demanda Margot en s'asseyant sur le canapé.
- Lequel ? Mais de quoi vous parlez ?, essaya de contrer la cocotte.
- De tes hommes, voyons !"
Les jeunes femmes riaient, Gabrielle se murait dans le silence.
Plus maligne, Elvire saisit un des journaux et annonça :
" Félicitations à notre sportive émérite !"
La jeune rousse leva le journal, le Matin, en souriant et chacun reprit vie dans la salle. On vint congratuler Gabrielle, la serrer dans ses bras ou lui caresser l'épaule.
Suzy ne savait plus où se mettre, elle essaya de garder contenance en se plongeant dans la lecture du journal, Margot lisait par dessus de son épaule.
Gabrielle du Plessis accusait le coup et se tenait debout devant ses collègues et amies.
Elvire vint se placer vers elle et lui murmura à l'oreille :
" Je te les laisse tes hommes. Ce sont tous des goujats.
- Vraiment ?
- Des flics et des aristos. La belle affaire !"
Gabrielle se tourna vers Elvire, la mesurant du regard.
La jeune femme était si belle, si fine, si délicate...et si sûre d'elle-même...
Vraiment ?
" Il ne me reste plus aucune raison de poursuivre ces...m'as-tu-vu... Je te les laisse et je te souhaite bon courage, Gabrielle."
Vraiment ?
Car ce jour-là apparut un géant aux yeux verts, magnifiques et envoûtants.
Il entra dans le salon et aperçut tous les bouquets de fleurs et tous les pensionnaires à leur dînette.
D'autorité, il vint saisir la taille de Gabrielle et claironna :
" Je t'emmène en promenade, ma Gabrielle. Tu es prête pour une journée d'exploration ?"
Elvire regarda le bel homme et tendit sa main pour caresser les revers de son costume.
" Vous devez être monsieur de Vaudreix. Nous n'avons pas encore été présentés. Je suis Elvire de Seloncourt !
- Mademoiselle de Seloncourt ?!, sourit le chasseur. Vous me voyez charmé de vous rencontrer !
- N'est-ce pas ?"
Gabrielle voulut se reculer, dépitée, mais la poigne d'Etienne l'en retint.
" Mon cher monsieur de Vaudreix, si vous souhaitez une compagnie pour aujourd'hui. Je peux vous accompagner !, assura Elvire. Je connais parfaitement la chasse aux fauves !
- Voyez-vous ça ?! Je suis content de l'entendre dire, mademoiselle."
Elvire était si sûre de son succès.
Tout le salon était silencieux, on attendait la réponse du fier chasseur. On le savait attaché à Gabrielle mais Elvire était plus jeune et plus fine que son aînée.
Gabrielle était si tendue que le chasseur le sentait entre ses doigts, il accentua sa prise et répondit enfin à la jeune Elvire :
" Le souci, mademoiselle, est que je ne suis pas un fauve qui se laisse si facilement piéger. Vous devriez vous trouver une proie à votre mesure.
- Qui vous dit que je n'en ai pas trouvé une ?!"
Etienne de Vaudreix sourit et secoua la tête.
" Je préfère Gabrielle, mademoiselle, à vos charmes. C'est mon amie. Vous... vous ne seriez qu'un délaissement.
- Et si j'étais le meilleur de votre vie ?
- J'ai déjà le meilleur dans mes bras. Bonne chasse, ma belle Artémis."
Galamment, monsieur de Vaudreix s'inclina et embrassa la main d'Elvire.
Celle-ci était rouge de colère.
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